Le caillou dans la chaussure des leaders du mouvement, c’est leur revirement, après avoir ordonné la suspension des barrages à leur « base » mardi soir, leur retournement de veste a porté un coup à leur légitimité. Restructurés, ils rassemblent leur force depuis ce dimanche dans un communiqué pour indiquer que les mesures régaliennes de maintien de la sécurité ou de lutte contre l’immigration clandestine ne se négocient pas, et pour demander un émissaire mandaté par le premier ministre pour une négociation sur « des mesures de développement et de rattrapage ». La levée des barrages se fera à cette condition. Annick Girardin n’a pas pour autant fermé la porte, elle s’est même livrée à un mea culpa collectif.
Le développement du territoire, c’est précisément sur ce sujet que travaille la délégation de 4 émissaires, quelque peu refroidie pourtant par les propos tenus à Tsingoni lors de leurs brefs échanges avec le préfet. Deux d’entre eux, Jean Courtial, Conseiller d’Etat et Yves Jobic, Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN), sont d’ailleurs repartis à Paris pour s’entretenir à ce sujet avec la ministre.
Dans un courrier “Engagements pris par la ministre des outre-mer au nom du Gouvernement” adressé aux élus, c’est aussi à l’intersyndicale que s’adresse Annick Girardin. Elle s’y réjouit que les élus acceptent d’engager les discussions, et rappelle, par écrit, les 14 points actés, en y ajoutant quelques précisions : Nomination cette semaine d’un haut fonctionnaire chargé de la Lutte contre l’Immigration clandestine (LIC), les citoyens y seront associés, ainsi que les associations qui œuvrent dans ce champ, maintien du Plan de sécurisation des établissements et des transports scolaires, l’escadron de gendarmes mobiles arrivés en renfort « sera durablement affecté à Mayotte après un bilan à l’été, de son utilité en terme de délinquance et de LIC » (C’est nouveau, on ne parlait que d’un demi-escadron).
Recensement et démantèlement des bandes, lutte contre la délivrance d’attestation d’hébergement et de reconnaissances abusives de paternité, fermeture pendant un mois des bureau des étrangers et des Services fiscaux, évolutions (non précisées) des dispositions de prise en charge des mineurs non accompagnés sur le territoire national, réponse dans le mois du gouvernement à la « Table revendicative » sur laquelle vont travailler les émissaires, bouclent les engagements.
« Rondes » contre les kwassas
Un point mérite qu’on s’y attarde, celui des moyens nautiques de la marine nationale, qui seront « davantage mobilisés dans la lutte contre l’immigration clandestine ». Un point qui aurait mérité des précisions autres qu’un « d’avantage », et qui seraient à même d’apaiser les tensions. Car la semaine dernière, de nombreux kwassas ont accosté dans le nord de l’île, engorgeant massivement les services de soins des hôpitaux et dispensaires, et provoquant un peu plus la colère de la population. Un collectif des habitants du nord de Mayotte s’est d’ailleurs constitué, qui explique effectuer des rondes afin “de démanteler les groupes d’étrangers, comoriens et africains”, présumés en situation irrégulière, et d’intercepter des passagers de kwassas, pour les emmener à la gendarmerie.
Des agissements qui ont fait réagir notamment la CGT Educ’action, qui dénonce « la stigmatisation d’une partie de la population », qui « n’auront d’autres conséquences que de plonger notre société dans le chaos ».
Où placer le curseur de la crise ?
Face à cet afflux de patientèle, le personnel hospitalier est doublement en souffrance. Car il doit aussi faire face à l’arrêt des évacuations sanitaires, avec le surplus de travail sur ces cas d’urgence, le manque de médicaments, notamment d’insuline qui va faire gravement défaut dans les jours qui viennent aux personnes diabétiques, etc. Un bateau-navette transportant certains d’entre eux a été caillassé, et le personnel de Dzoumogné ne peut être remplacé.
Suspendre les barrages comme le demande notamment les parlementaires, le président du Département, et une partie des maires, en observant pendant un mois les avancées, suppose que le gouvernement mette rapidement en place les moyens sécuritaires et de lutte contre l’immigration clandestine qui avaient été avancés au Plan Sécurité pour tous.
Ne pas suspendre, c’est se demander où placer le curseur de la crise. Combien de dégradations d’état de santé ? Combien de décès ? Combien de diminution de salaire, de perte d’emploi, etc. « Toutes les entreprises n’ont pu payer le salaire du mois de février, et celles qui l’ont fait, vont verser celui de mars à la baisse. Seules les grosses peuvent utiliser l’activité partielle », avertit Carla Baltus, présidente du Medef,
La balle est dans le camp des leaders : ont-ils assez de billes pour obtenir davantage et avec les personnalités présentes sur le territoire ? Car demander un nouvel émissaire se chiffre en jours de souffrance pour le territoire, et rappelle l’impasse dans laquelle s’était précipitée l’île en 2011 lors des rejets des médiateurs successifs, dont l’ancien préfet Denis Robin…
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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