Plutôt que de risquer de taper dans le vide en parlant d’emblée de parents démissionnaires, les orateurs de la table ronde « La parentalité : la place de l’enfant dans la société mahoraise » interpellaient ce mercredi : « C’est qui ‘un parent’ à Mayotte ?! » Mohamed Mtrengoueni, anthropologue et agent du conseil départemental de Mayotte, faisait remarquer que la 1ère personne visée par la parentalité n’était pas la génitrice, mais « le groupe familial », « Il y a donc une organisation sociale qui ne joue pas son rôle, en plus de la démission des parents. »
Cette dernière affirmation était un tantinet corrigée par Combo Abdallah, sociologue à l’Institut régional du Travail Social (IRTS) de Mayotte, lors d’un retour sur images, qui passe forcément par l’école coranique : « L’éducation traditionnelle était exercée partiellement par les parents biologiques, mais surtout par le village et l’école coranique, qui éduquait et socialisait les enfants de 3 à 8 ans ». Lors du passage à l’école publique, les parents ont fonctionné de la même manière, en déléguant ce rôle, ce que l’institution républicaine n’avait pas forcément prévu…
Et au début, ça a fonctionné, « les instituteurs étaient natifs de l’île et jouaient toujours ce rôle d’aînés. L’école était aussi symbole de réussite, pour la famille et le territoire. Il y avait une co-construction écoles publique-coranique-services sociaux-et éducatifs. Mais avec les changements de mode de pensée, chacune des institutions s’est mise à fonctionner en autarcie. »
Et selon lui, l’enfant a adapté son comportement en fonction de l’autorité qui lui était soumise, « y compris avec la justice ». Tel un jeu de piste, il va donc falloir trouver « qui est parent à Mayotte ? »
Pas de shi-parentalité
L’émotion que suscite chez chacun cette problématique de la parentalité qui renvoie vers autant de souvenirs familiaux, donnait lieu à une forêt de doigts levés lors des échanges. Un jeune animateur de l’association MAN, natif de Majicavo reprochait aux parents biologiques de ne s’adresser à leurs enfants « que pour donner des ordres, et non pour passer des moments agréables »
Un travailleur social qui se présentait comme antillais interrogeait sur l’existence du mot parentalité dans la langue mahoraise, « parce que s’il s’agit d’un concept uniquement extérieur, ça ne fonctionnera pas ».
Pour une juriste du conseil départemental, le véritable enjeu est « de rappeler aux parents qu’ils doivent être parents ». Lui faisait écho le responsable de la culture à la mairie de Mamoudzou, « quand on était gamin, on recevait de bonne corrections, personne n’en est mort. Depuis, les institutions s’en sont mêlées, et on n’entend parler que des enfants du juge, par peur de la sanction judiciaire. » Ce qui faisait dire à Nafissata Mouhoudoir, inspectrice des actions sanitaires et sociales de la direction de la Jeunesse et des Sports, qu’il faut « une politique efficace d’accompagnement à la parentalité ». Ce serait une bonne 1ère piste en effet.
Et ce n’est pas le témoignage d’une maman dans l’assistance qui ira la contredire : « J’élève seule mes 7 enfants, le père nous a laissé après les avoir fait. Mais je vis une expérience douloureuse avec ma fille de 16 ans, en 1ère, qui est en train de disjoncter et de se détourner de sa scolarité. Je me sens seule, je ne suis pas soutenue. »
Biologie ou tétralogie de responsabilités ?
On le voit, la parentalité oscille en fonction des cas entre les parents biologiques et plusieurs autres cercles qui vont en s’élargissant… difficile de trouver un schéma-type. « C’est la cacophonie, comment envisager le développement identitaire d’un enfant ?! », faisait remarquer une intervenante.
Justement, et on peut considérer cela comme une 2ème piste, Combo Abdallah proposait « d’accompagner cette évolution de la société en proposant une interconnexion entre les uns et les autres. Les gens sont très réceptifs quant à un accompagnement dans leur rôle de parents. Et ainsi, chacun aura son rôle et conservera sa dignité. »
Cette interconnexion est déjà prévue dans la loi du 14 mars 2016, faisait valoir Liliane Vallois, directrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), qui prend en charge les mineurs ayant commis des actes de délinquance, “dont peu sont des mineurs isolés” : « La loi prévoit une coordination des politiques publiques. Et à Mayotte, si l’objectif n’est pas encore atteint, nous sommes sur la bonne voie avec une collaboration en marche entre la PJJ et l’ASE du conseil départemental, dont j’ai participé aux travaux préparatoires du Schéma de l’enfance. »
Liliane Vallois qui faisait des chiffres un motif d’espoir, « 850 jeunes sont pris en charge par la PJJ, or plus de la moitié de la population est mineure, c’est bien que la société arrive à gérer ses enfants », et en s’appuyant aussi sur des faits, la période de 6 semaines de barrages que nous venons de traverser, « pratiquement sans actes de délinquance. Comment les parents ou les organisations sociales ont-ils gérés les enfants ? »
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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