Rarement procès n’aura autant joué sur les mots pour si peu évoquer les faits. Comme quand le président Bouvart qualifiait la “foule hostile” de “populace”, faisant bondir les avocats de la défense qui y ont vu -à juste titre selon le Larousse- un terme méprisant. Ou quand Me Simon a qualifié de “xénophobe” une formulation de la substitut du procureur Emilie Guegan, faisant cette fois bondir la parquetière.
Débat de droit aussi. “La question qui se pose aujourd’hui, note le président, c’est : si vous suivez une manifestation avec des gens qui mènent une action illégale, est ce qu’on peut dire que vous y avez participé ?”
Selon la défense, le parquet, en poursuivant les trois prévenus pour des faits de destruction “en réunion” a confondu les notions de réunion et de complicité. Car la présence des prévenus dans la foule ce jour du 24 mars 2018 est le seul élément à charge, outre les déclarations parfois contradictoires des uns et des autres.
Pour comprendre, revenons en arrière. Le 23 mars dernier, la mosquée de Kani-Keli diffuse son traditionnel appel à la prière du soir. Peu après, un autre message est diffusé au micro de la moquée, appelant cette fois à “chasser les Anjouanais”. Un appel dont l’auteur ne sera pas identifié. Le Muezzin n’est pas inquiété par la justice.
Le lendemain, une quarantaine de personnes monte vers les hauteurs du village. Les gendarmes, présents, ne peuvent empêcher la mise à sac et l’incendie d’un banga. Ses occupants, un couple avec deux enfants, avait déjà pris la fuite.
Les militaires filment et identifient trois personnes, deux cousins, qui affirment avoir suivi la foule par curiosité, et une jeune femme.
Cette dernière n’est autre que la fille de la propriétaire du banga, occupé par la famille comorienne. La propriétaire, qui voulait de longue date le départ des occupants, était convoquée comme victime car propriétaire du bien détruit. Sa fille, poursuivie pour ces faits, explique être montée “par crainte de représailles” envers sa mère.
Une affaire alambiquée donc, dans laquelle demeurent de nombreuses zones d’ombre. La mère n’avait-elle pas en premier lieu intérêt à ce que ce décasage ait lieu ? Elle qui ne s’est pas constituée partie civile. La fille n’a-t-elle pas été vue sortant du banga par plusieurs témoins ? Elle qui affirme n’y être jamais entrée. Quid des autres protagonistes ? “Je considère qu’on n’a pas fait assez de recherches pour retrouver les personnes qui ne sont pas là aujourd’hui” déplore Me Andjilani, avocat d’un des prévenus.
“On ne connaît pas les circonstances de l’incendie, où sont les constatations techniques ?” s’interroge Me Mattoir qui appuie “dans l’urgence on n’a pas vu l’intérêt de relever les constatations matérielles, on se contente de déclarations”.
L’urgence, c’est bien ce qui ressortait de ce procès, programmé mercredi à 14h et qui s’est terminé tard dans la soirée. Un procès en comparution immédiate, qui a lieu plus de deux mois après les faits reprochés. Où la procureure elle-même en vient à demander une relaxe partielle pour la circonstance aggravante “en raison de l’origine ethnique” de la victime, la maman propriétaire étant française. Une “mauvaise qualification des faits” relevée par la défense et reconnue par les trois magistrats du siège, qui prononcent finalement une relaxe générale.
Ce qui devait être un exemple pour rappeler “qu’une expulsion ne peut être exécutée sur sur décision d’un juge” s’est transformé en spectacle théâtral ponctué de piques, de paroles coupées et d’indignations sémantiques. Avec au final plus que de questions que de réponses, et laissant à chacun l’arrière goût amer d’une affaire mal ficelée où l’on aurait confondu vitesse et précipitation.
Y.D.
"Populace", "badauds", le procès de décasage vire au fiasco
Relaxe générale pour trois prévenus poursuivis pour un décasage. Cette comparution immédiate qui devait traduire la volonté du parquet de juger ces affaires avec célérité a plutôt montré des traces d'un empressement contre-productif et les avocats se sont engouffrés dans les nombreuses brèches.
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