En privilégiant le dialogue plutôt qu’une docte conférence ce mercredi au CNFPT, Christian Colin a voulu montrer aux élus et cadres des collectivités de Mayotte, que la Chambre régionale des comptes qu’il préside, ne se posait pas en donneuse de leçon, « nous ne faisons pas de critiques, nous posons des constats, découlant sur des analyses juridiques, qui doivent permettre aux collectivités des déterminer leurs marges de manœuvre. »
JDM : Vous vous êtes voulu encourageant en soulignant une division par six du nombre de contrôles budgétaires. Doit-on en déduire que le message de budgets équilibrés et sincères est passé ?
Christian Colin : « On peut dire que certaines collectivités ont pris le taureau par les cornes, mais que d’autres n’ont pas cette maturité. Notre travail est de faire un état des lieux, mais aussi de proposer des marges de manœuvre, surtout avec des finances publiques de plus en plus contraintes par le gouvernement. A moyens constants, on peut gérer mieux, ne serait ce que demander que les horaires de travail soient réellement effectués par l’ensemble des agents, avant de recruter des moyens humains supplémentaires. Mais surtout, il faut que les collectivités dialoguent entre elles. Celles qui ont mis en place de bonnes pratiques doivent les partager. »
Qu’avez-vous retiré de cette rencontre de mercredi au CNFPT avec les élus et les cadres ?
Christian Colin : « J’ai trouvé un auditoire conscient des difficultés et animé d’une grande volonté d’améliorer la gestion. Mais beaucoup de points suscitent l’incompréhension. En ce qui concerne les frais de déplacement, dont le barème de remboursement est jugé insuffisant, je rappelle ce n’est qu’une participation de la prise en charge. Nous-mêmes nous en sommes de notre poche quand nous sommes en déplacement. Je conseillerais pour ceux qui le font encore, d’éviter les déplacements en classe Affaires, et de rentabiliser au mieux la visioconférence.
En matière de délais de paiement, un point vital pour les entreprises, il apparaît que le dialogue est à approfondir avec le Comptable public, il faut multiplier les échanges. »
Vous avez publié un rapport sur de gros abus sur le Supplément Familial de Traitement (SFT), de très nombreux agents déclaraient des enfants fantômes à charge ! Quel retour avez-vous eu ?
Christian Colin : « Qui aurait eu l’idée d’aller vérifier la SFT ?! Ça aurait pu continuer longtemps ! C’est le rapport sur la commune de Koungou qui nous a interpellé, un agent déclarait 15 enfants quand il n’en avait que 4. Quand on voit que le traitement des SFT pouvait dépasser l’indice de paie, on s’interroge, ‘est-ce un cas isolé ?’. Ils s’étaient en réalité multipliés à l’échelle de l’île, sans que la Caisse des Dépôts et Consignation ne le vérifie. Une vraie corne d’abondance !
Et bien, quasiment toutes les communes ont indiqué vouloir remettre tout à plat et demander le remboursement du trop versé. Le réseau des Directions des Ressources Humaines a annoncé vouloir encadrer les déclarations. »
De manière plus globale, votre avis n’est que consultatif. Avez-vous des moyens de sanction ?
Christian Colin : « Je le répète, nous ne sommes pas là pour taper, mais pour accompagner. Mais dans le cas de figure des abus sur les SFT, si les prochaines vérifications montrent les mêmes dérives, nous activerons le 2ème étage de la fusée, en obligeant le remboursement des indus, en transmettant aux autorités préfectorales ou judiciaires. Nous avons dans notre sein, un procureur financier avec lequel on peut lancer la machine judiciaire. Certaines affaires sont d’ailleurs en cours. »
Quelle est votre fréquence de contrôle d’une même collectivité ?
Christian Colin : « Nous avons une obligation de contrôle quadriennale des comptes. Nous essayons de garder ce rythme avec nos 30 salariés, dont 7 magistrats et 15 vérificateurs. Quand je suis arrivé à la tête de la CRC il y a 2 ans, j’ai mis l’accent sur Mayotte, car Mayotte était en déshérence. La commune de Mamoudzou n’avait jamais été contrôlée, le Syndicat des eaux qui a un rôle stratégique, non plus. Nous avons besoin de suivre le conseil départemental aussi où l’on note toujours des abus, et par thème, RH, barges, ASE, etc., car c’est un grand compte. »
Vous avez évoqué des dégagements d’office* sur les fonds européens, dont la gestion incombe à la préfecture par dérogation, à Mayotte. Le dernier SGAR nous expliquait que Mayotte était parmi les meilleurs sur le Feder. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Christian Colin : « C’est faux. Mayotte a un très bon taux d’engagement des projets sur le Feder, mais un très mauvais niveau en consommation. Il y aura donc des dégagements d’office. J’ai été amené à gérer des fonds européens très peu consommés en Bourgogne. Nous avons réuni les partenaires projet, la Direction des finances publiques, la DEAL, pour leurs avis compétents, et du jour au lendemain, ça a décollé. De même l’AGIL a été créée en 1990 à La Réunion, qui réunit les porteurs de projet et les services instructeurs. Ils ont reçu un satisfecit de Bruxelles !
Nous allons décortiquer le fonctionnement actuel de la consommation des fonds européens à Mayotte en nous basant sur une opération-type, pour faire des propositions. »
Un rapport vous a-t-il marqué plus particulièrement ?
Christian Colin : « Oui, celui sur la SPL 976. Des millions ont été versé, avec un chiffre d’affaire nul, et pas un euro d’investissement. C’est inouï ! » (L’affaire impliquant l’ancien président du Département Daniel Zaïdani accusé d’abus de biens sociaux a été renvoyée au 24 avril 2019, ndlr)
Avec la montée en compétence des collectivités, allez-vous durcir vos exigences auprès d’elles ?
Christian Colin : « On ne peut pas comparer Mayotte qui prend la décentralisation en route, aux autres territoires qui ont eu 30 ans pour s’adapter. Il faut le temps de la maturité, et du renouvellement des équipes plus jeunes ».
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Les demandes de paiement qui n’ont pas fait l’objet de dépenses certifiées par l’autorité de gestion dans les deux ans sont dégagées d’office par la Commission européenne
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