Le JDM : Nous étions davantage sur une hypothèse de mouvements tectoniques, et depuis mercredi, on reparle de sortie magmatique. Où en sommes-nous ?
Frédéric Tronel : « Le mouvement tectonique de plaques et de failles était mis en valeur par différentes mesures, et les scientifiques parlent toujours de l’existence de failles, et de frottements le long de ces failles. Mais nous avons de nouveaux éléments pouvant laisser penser à un phénomène volcanique. Des remontées de magma peuvent se faire à la profondeur de 3000 mètres sous le niveau de la mer, à 50km à l’est de Mayotte, où se situe la zone d’épicentre, mais les flux peuvent aussi se faufiler dans les failles.
Les séismes de mai et de juin étaient les plus forts, sans doute en raison de l’énergie nécessaire pour que le fluide s’échappe. »
Quels sont ces nouveaux éléments qui ont fait évoluer les hypothèses ?
Frédéric Tronel : « L’Institut national de l’information géographique et forestière et le département géologie de l’Ecole Normale Supérieure ont constaté un léger déplacement de l’ensemble des stations GPS implantées à Mayotte de 50mm vers l’est et d’environ 25 mm vers le bas en 4 mois. »
C’est à dire que l’île de Mayotte s’est déplacé vers l’est, et s’est enfoncée ?! Est-ce fréquent comme phénomène ?
Frédéric Tronel : « L’île s’est en effet déplacée et enfoncée. On observe cela dans le cas de phénomène volcanique, où il y a en quelque sorte, une vidange quelque part. C’est ce qui les a incité à formuler cette hypothèse. »
Comment faire pour en avoir le cœur net ? L’implantation de nouveaux instruments avait été annoncé ? Des caméras peut-être ?
Frédéric Tronel : « Plusieurs mesures vont être mises en place dans les mois et les années qui viennent. Mais il fallait le temps de monter les dossiers, de les budgétiser, et de trouver les financements.
Tout d’abord, la chambre magmatique est 30km en dessous de la croute terrestre, elle-même située à 3.000 mètres de fond à cet endroit, la caméra n’est pas privilégiée pour l’instant.
Dans un premier temps, un réseau de mesures supplémentaires va être déployé : trois sismomètres en plus à Mayotte même, par l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg, dans les deux mois, et un aux Glorieuses.
Un sismomètre OBS* sera déposé au fond de l’océan, au droit de la zone, à 3.000 mètres, qui sera récupéré plusieurs mois après. Il permettra d’analyser les signaux enregistrés à proximité de la source.
Ensuite, le BRGM a déposé un dossier de campagne hauturière, c’est à dire de l’envoi d’un navire pour une étude marine entre Mayotte, Madagascar et l’archipel des Comores. La dernière bathymétrie date de 2004, on pourra mesurer les évolutions des fonds. C’est un gros projet scientifique, qui, s’il est accepté, ne pourra vraisemblablement être réalisé qu’en 2020.
De toute façon, nous mettons la pression pour que les mesures se fassent tant que le phénomène est actif ».
Dans l’hypothèse d’un mouvement magmatique, a-t-on des données sur sa durée ?
Frédéric Tronel : « Un phénomène volcanique dure en principe plusieurs mois à un an, avec une décroissance de son intensité. Mais rien n’est encore confirmé. »
Vivons-nous une version réelle de « L’île mystérieuse » de Jules Verne ? Peut-on voir sortir une île ou un volcan de la surface comme ce fut le cas en 2013 au Pakistan ?
Frédéric Tronel : « Pour qu’un volcan se forme à partir de 3.000 mètres de fond, il faudrait une quantité énorme de matière. »
Et comment faire comprendre aux inquiets que les forages pétroliers n’y sont pour rien ?
Frédéric Tronel : « Pour qu’il y ait du pétrole, il faudrait un terrain sédimentaire, or nous sommes sur une croute océanique. Et même si nous savons qu’il y a du pétrole dans la région de Madagascar, il n’y a aucune plateformes en mer.
Si le phénomène est intéressant pour les scientifiques, je comprends qu’il suscite des inquiétudes, mais nous pouvons rassurer en expliquant que le phénomène reste circonscrit à l’essaim, dans une zone à 50km de l’île. »
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Pour jdm2021.alter6.com
* Ocean-Bottom Seismometer
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