Alors que pour la plupart des outre-mer, c’est du passé, l’urgence d’un rattrapage à Mayotte met encore du monde dans la rue. Et ce sera le cas tant que la réponse n’est pas à la hauteur des enjeux, et dans les moyens, et dans la forme, avec un mea culpa encore trop timide de la part des autorités parisiennes. Il semble que cela commence à être compris. En tout cas, nous avons sur place un préfet qui ne mâche pas ses mots pour mettre à nu le contexte, et réclamer des moyens.
L’Institut d’Emission des Départements d’Outre-Mer (IEDOM) nous rappelle la « crise de trésorerie sans précédent pour les entreprises », qui a « accentué la dualité entre les petites, fortement fragilisées, et les grandes, mieux armées pour y faire face ». Grâce aux dispositifs de soutien post-crise, l’économie a repris des couleurs, avec même une « dynamique de reprise ». Marquée par un Indicateur du climat des affaires (ICA) en hausse, après la chute observée lors des mouvements sociaux, « le premier semestre a mis en exergue la capacité de résilience des entreprises, tandis que le deuxième a confirmé la reprise progressive. »
Cette fois, le département voisin de La Réunion a été plus atteint, avec un indicateur ICA « à son plus bas niveau depuis 5 ans » en raison du mouvement des gilets jaunes qui avait bloqué l’île pendant deux semaines en novembre et décembre 2018. En Martinique, on note le même flottement qu’à Mayotte sur « l’incertitude des entreprises », avec un ICA jugé « volatil ».
On voit l’impact des plans d’urgence quand ils sont appliqués massivement comme en Guyane où l’ICA s’est « relevé », avec 1,10 milliard d’euros d’appui, même optimisme en Guadeloupe, alors qu’en Nouvelle Calédonie, l’indicateur est en berne, en raison des « incertitudes institutionnelles » liées au dernier référendum qui traduisait la montée des indépendantistes.
Les chômeurs boudent Pôle emploi
A Mayotte, l’IEDOM traduit la « réserve » formulée par les entreprises à court terme face à la « crainte de l’émergence d’une nouvelle crise sociale ». L’instabilité nuit à la poursuite des affaires, en particulier des investissements, en monnaie sonnante et trébuchante, et en moyens humains, avec la fuite de la matière grise qu’elle provoque. « L’investissement pâtit de l’attentisme des entreprises ».
Moteur de l’économie à Mayotte, la consommation des ménages reste « solide », dans un contexte d’inflation modérée, +0,3%, contre 1,8% sur la France entière. Ce qui impacte sur le commerce extérieur qui enregistre une nouvelle hausse des importations, +3,5% pour les produits courants, donc portées principalement par les biens destinés aux ménages.
On se souvient que selon les données de l’INSEE, le chômage avait atteint un taux record en 2018 à Mayotte, montant à 35%, un chiffre « jamais atteint dans aucun département d’outre-mer » avait souligné Jamel Mekkaoui, Directeur de l’antenne de l’INSEE Mayotte. Et bien, c’est encore en deçà de la réalité, analyse l’IEDOM : « La situation du marché du travail ne reflète pas intégralement la réalité des difficultés dans la mesure où un nombre croissant de demandeurs d’emploi ne font plus l’effort de se déclarer auprès de Pôle emploi ».
2019, « année tremplin » ?
Alors qu’on assistait désormais à une réduction continue du « halo » de personnes au chômage qui ne se déclaraient pas, l’année 2018 marque donc une « rupture dans la formalisation du marché du travail, en enregistrant une baisse du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A de 16,8 % par rapport à 2017. » La mise en œuvre en octobre 2018 de la dématérialisation obligatoire des procédures d’inscription à Pôle emploi, a pu également avoir un effet dissuasif peur ceux qui ne sont pas équipés. Et la fin du dispositif des emplois aidés conditionnés à l’inscription à Pôle emploi a participé au phénomène.
L’activité bancaire continue de progresser, avec une demande de financement toujours croissante, +8,8% de crédits, tandis que la hausse de la collecte ralentit, avec le recul des dépôts à vue, -0,2 %.
Du côté de l’aérien, malgré l’arrêt d’une ligne directe (Corsair, ndlr) entre Paris et Mayotte, qui engendre une baisse importante dans le nombre de rotations de vols (-11,9 % par rapport à 2017), et le prix élevé du transport aérien, « le nombre total de passagers reste quasi-stable en 2018 (+0,4 %). Le taux de remplissage des avions est donc de plus en plus élevé. »
La morale de l’histoire, c’est qu’il faut parvenir à stabiliser les investissements pour développer l’île. « La fin de l’année 2017 présentait des signes plutôt favorables pour le secteur privé, avant que le mouvement social de début 2018 ne freine les initiatives », rappelle l’IEDOM. La commande publique s’annonce comme prometteuse, avec les contrats de convergence Etat-Région, et la planification des constructions scolaires. 2019 peut donc être « une année de tremplin » qui permettrait de s’orienter vers une croissance pérenne. Sous plusieurs conditions pour le banquier : la stabilité du climat social, l’accompagnement des porteurs de projets et l’amélioration des délais de paiement.
Anne Perzo-Lafond
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