La liberté de la presse ne se porte pas bien. Ce constat dressé par Reporters sans frontières n’est pas propre à notre région du monde, il est quasiment global et les bons élèves en la matière, comme la Norvège qui se maintient en première place, se font rares. Aujourd’hui selon RSF, seuls 9% de la population mondiale vit dans un pays où la liberté de la presse est satisfaisante.
Le classement 2019 “montre que la haine des journalistes a dégénéré en violence, laquelle est facteur d’une montée de la peur. Le nombre de pays considérés comme sûrs, où les journalistes peuvent exercer leur métier en toute sécurité, continue de se réduire, tandis que les régimes autoritaires renforcent leur emprise sur les médias.”
En jaune tout de même, le pays le mieux classé de la zone sud Océan Indien reste la France. Si le pays gagne une place dans le classement, se hissant à la 32e place, son “score global”, une note attribuée par RSF suivant divers critères, est en baisse. L’ONG dénonce ainsi en France comme à Malte des “procédures bâillons engagées contre les journalistes d’investigation” visant “à les épuiser financièrement”. RSF dénonce aussi “un niveau inédit de violences lors des manifestations de “gilets jaunes” en France, au point que nombre d’équipes de télévision n’osent plus afficher leur logo ni couvrir les manifestations sans être accompagnées de gardes du corps”.
Bonne nouvelle pour l’Afrique sub-saharienne : ” L’Afrique enregistre la plus faible dégradation régionale de l’édition 2019 du Classement mais aussi certaines des plus fortes évolutions de l’année écoulée.” Ainsi par exemple, “un changement de régime a permis à l’Ethiopie (110e) de vider ses prisons des journalistes et de faire un bond spectaculaire de 40 places.”
Au Comores, une dégradation inquiétante
Si en revanche on se rapproche de Mayotte, la situation se dégrade sensiblement.
Ainsi Les Comores, pays classé 56e sur 180, chutent de 7 places dans le classement. La liberté de la presse y est certes garantie par la constitution révisée en 2018, “mais l’autocensure est une pratique courante chez les journalistes comoriens en raison de lourdes peines punissant la diffamation.” En outre, “en 2018, la couverture du référendum constitutionnel controversé permettant au président Azali Assoumani de se représenter s’est accompagnée d’une recrudescence inhabituelle d’exactions commises contre les journalistes dans un Etat qui, en matière de liberté de la presse, faisait jusque-là plutôt figure de bon élève dans la région. ” En guise d’exemples, “Une journaliste a été menacée de poursuites par un ministre, le directeur du grand quotidien public Al-Watwan a été limogé peu après avoir exprimé, dans un éditorial, la nécessité de laisser les voix critiques du référendum s’exprimer, et un reporter a été giflé pour le simple fait d’avoir pris une photo aux abords du tribunal.” Les événements récents liés à la présidentielle risque fort de noircir ce tableau dans le classement 2020.
Précarité et corruption minent la situation à Madagascar
Madagascar se classe à peine mieux que l’Union des Comores en se dressant à la 54e place, comme en 2018. RSF y constate “des médias sous influence”. “La précarité des journalistes et des médias malgaches les rend particulièrement vulnérables à l’influence des hommes d’affaires et des responsables politiques qui possèdent de nombreux organes de presse” écrit l’ONG qui pointe l’impact des élections sur l’accès à l’information. “L’élection présidentielle remportée fin 2018 par l’ex-leader de la transition Andry Rajoelina a confirmé la très forte politisation des médias locaux et notamment de la presse écrite. La quasi-totalité des titres ayant pris parti pour l’un ou l’autre des principaux candidats, l’accès à une information neutre et indépendante a été fortement limité.”
Une influence qui va au delà des frontières de la Grande Île. “Le ministère (malgache) des Affaires étrangères a directement écrit à l’ambassade d’Allemagne pour empêcher la publication d’un sondage dans un magazine d’information financé par une fondation allemande. Sur le plan légal, le Code de la communication adopté en 2016 fait référence au Code pénal pour statuer sur les délits de presse, menant potentiellement à une criminalisation de la profession.” Parmi les sujets victimes de l’autocensure, “la corruption, notamment dans le secteur des ressources naturelles ou de l’environnement, reste un sujet difficile à traiter.”
Aux Seychelles, “préserver à tout prix l’image du paradis”
Les Seychelles sont un des pays qui voit sa note remonter, l’archipel se hisse à la 69e place. Il était 85e en 2018. Malgré l’exiguïté des îles, les journalistes s’émancipent. “La pluralité de la presse et son financement sont limités par la taille et la démographie de l’archipel. Les réflexes d’autocensure liés à des décennies de régime unique communiste et d’un contrôle étroit de la presse se dissipent peu à peu, faisant place à une diversité d’opinions et à une plus grande liberté éditoriale pour les journalistes.” Toutefois, tout n’est pas rose au “paradis”. “Le gouvernement garde cependant la mainmise sur la seule chaîne de télévision du pays et sur les deux radios qu’il possède. Les médias privés, souvent engagés politiquement, ont tendance à délivrer une information orientée. Les autorités cherchent avant tout à protéger l’image de paradis touristique du pays, rendant très difficile le traitement critique des sujets qui y sont liés.” Un bon point, aucune exaction visant des journalistes n’a été relevée aux Seychelles.
L’Afrique de l’Est, peut mieux faire
Le Mozambique reste un des meilleurs élèves de la zone d’Afrique de l’Est, avec une 103e position. Dans un contexte électoral, “les autorités du Mozambique font tout pour empêcher la couverture de l’insurrection islamiste qui touche le nord du pays”, causant un “black out médiatique au nord”. Par exemple, “un journaliste d’investigation a été détenu pendant plusieurs jours en décembre 2018. Un mois plus tard, un reporter qui réalisait des interviews de victimes pour une chaîne locale a également été arrêté, détenu par les militaires, puis inculpé de “violation de secrets d’Etat. ” Le pays a en outre validé un décret qui devrait faire exploser les frais de tournage, rendant hors de prix le travail des journalistes étrangers sur son sol.
Au Kenya, gare à la critique
Le Kenya, 100e au classement, a perdu 4 places. “La liberté de la presse se dégrade peu à peu” déplore RSF. “Le contexte politique et sécuritaire instable a servi d’argument aux autorités pour commencer à restreindre la liberté d’information dès 2016. Agressions physiques par les forces de sécurité et la population, intimidations et menaces publiques par des hommes politiques, confiscations de matériel et suppressions de contenus journalistiques constituent la norme pour la profession en temps de campagne électorale.” Ainsi, “début 2018, quatre chaînes TV privées ont été suspendues pour avoir défié l’interdiction du président Uhuru Kenyatta de diffuser l’investiture symbolique de son principal opposant politique Raila Odinga.” Sur le plan législatif, “Alors que la liberté d’information est garantie par la Constitution de 2010, l’arsenal législatif permettant de museler la presse en la criminalisant ne cesse de se renforcer.”
En Tanzanie, un inquiétant “droit à disparaître”
La Tanzanie, 118e, a perdu 25 places. En 2013 il était 70e.
“Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le président John Magufuli, surnommé « le bulldozer », ne tolère aucune critique de lui-même ou de son programme” accuse RSF. Avec diverses pressions, “le régime a instauré un climat de peur au sein duquel l’autocensure gagne du terrain.”
Selon RSF, “Deux défenseurs de la liberté de la presse ont été arrêtés et expulsés à la fin de l’année. Ils travaillaient entre autres sur la disparition d’un journaliste tanzanien depuis novembre 2017, alors qu’il enquêtait sur des assassinats de fonctionnaires locaux. Interrogé par la presse sur cette disparition, le ministre de l’Intérieur avait estimé que chacun avait le droit de disparaître et que ses services n’avaient pas à s’ingérer lorsqu’un individu décidait de partir de chez lui.”
Y.D.