La vidéo ne dure que 20 secondes. Présentée comme tournée à Passamaïnty, on y voit deux policiers autour d’un adolescent menotté. Soudain le policier de droite gifle l’ado qui vacille et se redresse avant de recevoir un second coup au visage et d’être embarqué dans la voiture de police. Fin du film. En commentaire, l’internaute s’inquiète d’une “bavure policière”.
Le JDM a été alerté sur cette vidéo cinq jours après sa mise en ligne, soit le 20 juin. Dès lors nous avons cherché à authentifier le document.
La première étape a consisté à l’analyser par nos propres moyens, au delà de la légende et du commentaire qui, de fait, tendent à manipuler celui qui visionne. Que voit-on ? Deux policiers français (à leur uniforme), dont l’un semble porter l’insigne des maîtres chien, un véhicule banalisé, de nombreux témoins et une architecture compatible avec les bâtiments de Mayotte. De prime abord, le fichier semble cohérent.
Mais un tel document, fût-il choquant, nécessite d’aller plus loin. Qu’est ce que le document ne montre pas ? D’abord il n’y a pas de son, impossible donc d’évaluer le contexte sonore, y a-t-il eu injures ou menaces, y a-t-il des sirènes en arrière plan ? Ensuite elle est très courte, et cadrée serré. Que s’est-il passé avant, et après, et que se passe-t-il autour des deux fonctionnaires ? Là encore, la vidéo ne le dit pas.
La deuxième étape a consisté à analyser la vidéo avec des logiciels dits “forensics”, qui permettent d’analyser un fichier en profondeur. Ni ces outils ni les recherches inversées n’ont permis de penser que la vidéo était détournée de son contexte, comme on le voit souvent sur Internet.
Nous nous sommes alors tournés vers les personnes présentes, la personne qui a publié la vidéo, mais qui assure ne pas en être l’auteur, et les policiers. Le commissariat a rapidement authentifié le document.
Un contexte tendu et dangereux
Les faits datent du 14 juin dernier à 23 heures, à Passamaïnty. Deux heures après, la vidéo était postée sur Twitter.
Nous sommes à la veille des violences sans précédent lors de laquelle deux jeunes seront grièvement blessés à coups de machette. Un an plus tôt, un policier perdait un œil en intervention dans des conditions similaire. Voilà pour le contexte.
Selon le commissaire Philippe Jos, la police vient ce soir-là d’être appelée pour une “énième bagarre entre bandes” dans le quartier. A l’arrivée des policiers, les jeunes se dispersent. Seul l’un d’eux demeure sur place, armé d’une pierre et de “ciseaux aiguisés”. Les deux policiers présents l’interpellent et le menottent, la vidéo commence là.
Selon le rapport de l’agent, l’individu interpellé “prend à partie” les fonctionnaires et, bien que menotté, crache au visage du policier, qui reconnaît dès le soir-même dans son rapport avoir porté les coups dans la foulée.
Cela suffit-il à expliquer cet accès de violence face à un individu, certes provoquant, mais entravé ?
Il y a le “coup de sang”, la perte de sang froid du policier face au crachat. Un geste qui n’a rien de réglementaire. Mais il y a aussi selon le commissaire, une notion d’urgence. On a rappelé le contexte plus haut. La bande d’Azad était descendue de Doujani pour en découdre avec des jeunes de Passamaïnty. Or, “quand la police arrive, systématiquement les jeunes se liguent pour caillasser les policiers” déplore le commissaire qui a participé à certaines de ces interventions. La priorité pour les deux fonctionnaires était donc d’extraire au plus vite l’adolescent, avant que le groupe ne se reforme autour d’eux. “L’objectif était de repartir tout de suite, dans un contexte dangereux” résume le commissaire pour qui “tout s’est fait de manière précipitée”. Si les coups filmés sont contraires “au code de déontologie”, “il y a le discours qu’on peut tenir, et les difficultés auxquelles on peut faire face” regrette le directeur de la sécurité publique. Il assure toutefois que les deux fonctionnaires, identifiés, ne sont “pas des gens qui sont habitués” à réagir ainsi, et insiste sur un contexte de “tension difficile à gérer”.
Que s’est-il passé ensuite ?
Selon le rapport de police, le jeune interpellé est un adolescent de 15 ans. Les deux fonctionnaires l’ont emmené directement au commissariat, où ses parents ont été appelés. Ces derniers se sont rendus au poste pour récupérer l’enfant et le ramener chez eux. Le policier n’a pas déposé plainte pour outrage, et aucune charge n’a été retenue pour le port d’arme ou la participation à un attroupement violent. De leur côté, les parents, a priori informés des gifles portées à leur enfant, n’ont eux non plus pas engagé de poursuites contre le policier. Pour l’heure, les faits en sont donc restés là.
Néanmoins d’autres suites pourraient être données. En effet la vidéo n’est pas passée inaperçue. L’internaute qui l’a partagée a identifié trois destinataires, nos confrères de Mayotte Hebdo, ceux de Mayotte la Première et le préfet de Mayotte. La vidéo totalise plus de 4000 visionnages, l’ouverture d’une enquête reste à la discrétion du procureur.
Pourquoi avons-nous fait le choix d’en parler ?
En authentifiant la vidéo, la question se posait de l’opportunité d’en faire un article, ou non. Il appartient aux journalistes de hiérarchiser une information, et d’en mesurer l’intérêt médiatique et sociétal. Après enquête, il nous a semblé que ce document n’est pas une vidéo “choc” mettant gratuitement en cause la police, mais bien une illustration de conditions d’intervention difficiles. Or, expliquer n’est pas excuser. Il ne s’agit donc ni de minimiser les faits ni de stigmatiser les policiers de la vidéo, et encore moins la police en général, mais bien de comprendre le contexte dans lequel un professionnel peut être amené au dérapage. Un contexte de violences de rues, mais aussi de réorganisation de la police de Mayotte visant à faire des économies, alors que les syndicats réclament des effectifs supplémentaires pour faire face à ces événements.
Y.D.