“On ne cache rien” assurent de concert le préfet de Mayotte et son directeur de cabinet. Si la précision est utile, c’est que le manque d’informations, surtout sur les réseaux sociaux, suscite inquiétudes voire complotisme de tout poil. Le Marion Dufresne a donc accueilli mercredi matin les élus du département, et l’après-midi la presse, pour une opération de “transparence”. Mais transparence ne rime pas toujours avec omniscience et de nombreuses questions restent en suspens, générant de la frustration, à commencer par les scientifiques eux-même.
Ce qu’on ne sait pas, après plusieurs mois d’étude du nouveau volcan, et plus d’un an d’essaim sismique, c’est le lien entre les deux. Bien sur on se doute que la vidange d’une chambre magmatique cause l’essaim de séismes, et la concomitance avec l’apparition du volcan laisse peu de doute sur le lien entre les deux. Mais en l’absence de données empiriques sur le sous-sol à cet endroit de la mer, impossible de le prouver. Et les scientifiques n’aiment guère les hypothèses sans preuve. Les journalistes, non plus.
On ne connaît pas non plus la nature des gaz et des roches prélevés en profondeur, car “cela prend du temps à analyser” regrette Nathalie Feuillet, la cheffe de mission à bord. Des échantillons sont partis par avion dès mercredi à Brest, où le siège de l’Ifremer est équipé pour ces analyses. Celles-ci permettront de mieux connaître, par exemple, la profondeur de laquelle est issue la lave du volcan.
Impossible aussi de savoir comment le volcan, et les séismes, vont évoluer. La science est équipée pour observer, pas encore pour deviner et encore moins prédire. Du coup, les découvertes qui suivent… soulèvent autant de questions qu’elles en résolvent.
2000 séismes en 10 jours
Premier volet des études menées en mer : la sismicité. Celle-ci évolue peu ces dernières semaines, qui confirment une baisse du nombre de secousses depuis le mois de mai dernier. Mais les nouveaux outils plus précis que les sismomètres terrestres ont permis d’enregistrer pas moins de 2000 secousses, avec des magnitudes entre 1 et 4.9, un chiffre “considérable” selon Nathalie Feuillet. Autre découverte de taille : l’analyse des sismomètres fond de mer a permis de relocaliser un certain nombre de séismes. On savait depuis peu que les séismes étaient plus proches que les 30 à 60km estimés jusqu’en février dernier. Deux essaims avaient été identifiés, à 15 et 30km environ à l’est.
Une nouvelle zone a été précisée, à 5km seulement des côtes de Petite Terre, sous le flanc est de la montagne de Mayotte. Ces épicentres concernent des séismes enregistrés depuis février dernier, mais qui restaient mal localisés. Impossible toutefois d’en déduire un danger quelconque, et ces tremblement peuvent très bien être liés au volcan situé 45km plus à l’est. “Aux Canaries, on a déjà observé une très vaste zone sismique, avec un unique volcan éloigné” note la cheffe de mission. De plus, la profondeur des séismes reste la même, entre 20 et 50km dans la croûte terrestre.
Les sismomètres fond de mer restent sous surveillance, et un dispositif à base de scientifiques bénévoles va se mettre en place pour les surveiller en permanence.
Une coulée de 150m de hauteur !
L’autre volet des études sur site, c’est le volcan lui-même. Et premier constat, il a encore grandi. Pas en hauteur, puisqu’il culmine toujours à 800m au dessus du plancher océanique, mais en largeur, grâce à une nouvelle coulée de lave de quelque 0,3km cube et 150m de haut. Le panache observé au sommet du dôme a disparu, et un autre est apparu au dessus de la coulée susmentionnée.
Autre nouveauté, des robots équipés de caméras ont pour la première fois pu être envoyés sur place, ainsi qu’au dessus de la ride volcanique. Sur cette dernière, ils montrent des “bulles” qui sortent dans une “eau froide”.
Au niveau du volcan, on observe de la lave refroidie “en coussins” et “cordées”, signe d’une lave très liquide refroidie brutalement par l’eau.
De magnifiques roches dorées ont été prélevées et doivent encore être analysées. “On a récupéré un nombre considérable de données qu’il va falloir analyser en laboratoire” confirme Nathalie Feuillet. “On va avoir besoin de temps pour répondre à certaines questions”.
20cm vers l’est
Et des questions en suspens, la préfecture en a autant que les journalistes.
“Voire plus encore” note le nouveau préfet qui a besoin de données pour adapter les politiques publiques en matière de sécurité civile.
“Un travail parallèle est en train d’être mené avec l’administration centrale. Il faut encore comprendre ce phénomène et voir plus avant les risques qu’il peut engendrer. On répond à un risque quand on le connaît” indique Jean-François Collombet. Des annonces devraient néanmoins être faites dans les prochaines semaines par la ministre des Outre-Mer, parmi lesquelles sans doute la création en 2020 d’un observatoire volcanique comme celui du Piton de la Fournaise.
Ce dernier dans son rapport de juillet rapporte que l’île de Mayotte continue à se déplacer à mesure que l’éruption du nouveau volcan se poursuit. Depuis juillet 2018, l’île au lagon s’est déplacée de 20cm vers l’est, et s’est enfoncée de 7 à 15cm dans la mer. De quoi interroger sur l’idée d’allonger la piste de l’aéroport.
Y.D.