Pour mémoire, la bascule d’une Agence Régionale de Santé Océan Indien La Réunion-Mayotte, à une ARS Mayotte autonome, est le fruit de plusieurs facteurs. Lors du passage de la DASS à l’ARS, les deux premiers à alerter en 2012 sur le risque de subordination de Mayotte à La Réunion, furent deux cadres de l’ARS, Anchya Bamana, depuis maire de Sada, et Mouhoutar Salim, désormais directeur adjoint de la structure. Il était aux côtés de Dominique Voynet ce mercredi pour parler avenir.
C’est d’ailleurs l’écologiste et ancienne ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement du gouvernement Jospin, qui produira en 2016 un rapport sur l’état de la santé à Mayotte, alors qu’elle était à l’Inspection Générale des Affaires sociales (IGAS). Un rapport assassin qui ne fut jamais rendu public, « j’étais sévère sur l’organisation de l’Etat en rapport avec l’état sanitaire de la population à Mayotte. » Enfin, le Plan d’avenir pour Mayotte concrétise la volonté de la population de se doter d’une ARS autonome, après qu’aient été révélés les montants ridicules alloués aux dépenses de santé à Mayotte en 2017, 900 euros par habitant contre 3.000 euros à La Réunion.
Depuis, les montants ont été réévalués, et le virage vers l’autonomie de l’ARS préparé par Xavier Montserrat, mais le dialogue difficile avec La Réunion aura rendu son remplacement inévitable, « les conditions de séparation sont tendues dans cette période de transition », confirmait Dominique Voynet. Qui est là pour améliorer l’offre de soin et le système de santé à Mayotte, « tout ou presque reste à faire ».
« La maladie de Mayotte, c’est le turnover »
C’est donc sa notoriété et son expérience qui sont mises en avant pour défendre les priorités. La première touche aux ressources humaines. Car si le Fonds d’Intervention Régional, « bras armé de l’ARS Mayotte », a été considérablement revalorisé conformément au Plan d’avenir pour Mayotte, « supérieur à 18 millions d’euros », il faut les dépenser « intelligemment ». Le gouvernement a créé 17 postes supplémentaires au sein de l’ARS Mayotte, à la direction des ressources humaines, en sécurité sanitaire, en analyse de l’eau, en offre de soin, mais il faut les pourvoir, « la maladie de Mayotte, c’est le turnover ».
Il faut aussi attirer des médecins et du personnel vers le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM). La ministre est convaincue d’un changement de vision sur Mayotte à Paris, « j’avais cité dans mon rapport IGAS de 2016, la phrase d’un directeur d’administration ‘Avec Mayotte, on est toujours déçu’, alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds ! Je répète toujours que département depuis 2011, et Mayotte doit absorber 200 ans de strates administratives. » Signe d’une prise de conscience selon elle, un début de nomination de personnes expérimentées à la tête des administration locales.
En matière de budget, celui de l’ARS Mayotte fait encore l’objet d’arbitrage. Etre autonome c’est bien, mais il faut avoir la compétence qui va avec : « Il faut former nos agents qui s’appuyaient jusqu’à maintenant sur la logistique de La Réunion en matière de logiciel de paie ou de système informatique ». Une dépendance qui n’a pas favorisé l’émergence de grosses structures : « Il fallait l’aval de La Réunion pour dépenser notre propre FIR, alors que les besoins en prévention de santé étaient urgents. Nous devons donc aider les petites structures à dépenser les fonds, car sinon, ce sont toujours Mlézi Maoré ou la Croix rouge qui le feront. »
Supervision de la bonne utilisation de l’aide aux Comores
Un coup de pouce inattendu vient d’une mise en place à l’échelle nationale ce mercredi d’un Centre de Ressources nationales d’appui aux ARS des départements d’outre-mer, « une petite équipe mobile qui mobilise ses moyens en fonction des besoins, à l’image de la Réserve sanitaire. » Un outil de coopération entre les ARS est également mis en place, sous la forme de réunions mensuelles à Paris, « cette semaine nous est présenté le Plan sur les urgences d’Agnès Buzyn ».
Le second point fort porte sur le Plan de Développement France-Comores signé ce 22 juillet 2019 entre les présidents Macron et Azali. Il s’agit d’engager une vraie politique de coopération régionale, permettant de fixer les résidents chez eux. Doté de 150 millions d’euros sur 3 ans, il est axé sur l’agriculture, la formation-insertion des jeunes et la santé. Ce secteur est doté de 44 millions d’euros, pour mettre en place l’assurance médicale généralisée, l’amélioration de l’offre de soin et la coopération régionale. Face à la levée de bouclier que cela avait suscité à Mayotte, sous dotée en matière de santé, Dominique Voynet tient à préciser que ce budget est ponctionné sur celui du ministère des Affaires étrangères, et géré par l’Agence Française de Développement (AFD). « Ça n’empêchera sûrement pas à lui tout seul les arrivées de kwassas, mais nous faisons notre part en matière de santé. »
Elle supervisera donc la mission de coopération sanitaire avec les Comores, « c’est inscrit sur ma lettre de mission », donc la bonne utilisation de l’argent versé. Ce qui n’est pas un luxe.
Parmi les ressources humaines déjà présentes, Stéphanie Fréchet, qui travaillait au secrétariat des affaires sociales au ministère de la Santé, et Mouhoutar Salim, qui seconde Dominique Voynet. Présent à ses côtés, il se réjouit de cette autonomie, « nous allons pouvoir mettre en place une logique de proximité de démocratie sanitaire, une prévention adaptée à notre culture, et maîtriser nos actions de coopération. »
L’accroissement de la capacité à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers, portée de 30 à 45 place, et le lancement d’une licence de Santé au Centre universitaire, sont les premiers signes positifs selon lui, « et il faut inciter les médecins mahorais qui exercent en métropole à revenir un peu chez eux ! »
Anne Perzo-Lafond
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