A première vue, on pourrait penser que la première victoire qu’est l’arrêt de l’ascension vertigineuse du nombre des naissances, et même leur diminution, 9.600 naissances contre 9760 en 2017, est imputé aux amendements Thani, mais ce n’est pas encore le cas. Ce sont les mères françaises qui tirent le taux vers le bas, -4% contre -1% chez les mères étrangères.
La condition d’ obtention de la nationalité française depuis le 1er mars 2019 à Mayotte est la présence d’un des parents en situation régulière sur le territoire au moins 3 mois avant la naissance. Mais cette mention de régularité qui doit être apposée sur l’acte de naissance, n’est pour l’instant pas encore en usage, comme nous l’avions signalé. Les parents qui déclarent la naissance n’ont pas forcément sur eux les papiers requis, et pour l’instant, ne sont pas revenu vers les services d’état civil pour effectuer une démarche dans ce sens. Pourtant le temps court, et il y a peu de chance qu’un récépissé ou autre papier soit conservé jusqu’à la date de demande de la nationalité, comme en avait alerté le procureur. Les mairies doivent davantage informer.
Un nouveau modèle de société
Nous avons cherché à évaluer le nombre d’enfants concernés. Sur les 9.600 nouveaux nés de 2018, 45% n’ont aucun parent français nous dit l’INSEE, soit, environ 4.000. D’autre part, la moitié de ces parents sont en situation irrégulière, avait précisé l’INSEE, soit 2.000 enfants qui ne pourront pas être naturalisés plus tard. Rajoutons que le texte réglementant l’obtention de la nationalité est rétroactif, portant sur un « droit transitoire » : « Les parents des enfants nés avant le 1er mars doivent prouver qu’ils résidaient pendant une période de 5 ans en situation régulière à Mayotte. »
L’INSEE nous dit encore que environ 40.000 mineurs étrangers sont dénombrés en 2017 sur le territoire. Admettons timidement qu’une partie des parents puissent prouver leur situation régulière, bien qu’il soit difficile d’aller chercher d’anciens titres de séjour dans les fonds de tiroir.
Nous avons donc entre 30.000 et 40.000 mineurs qui n’ont pas vocation à obtenir la nationalité française. Faisant grossir de facto et d’un coup la proportion d’étrangers sur le territoire, qui vont devenir pour le coup largement majoritaires.
La question intrinsèque est : « que vont-ils devenir ? » Nous avons interpellé l’auteur des amendements à ce sujet. Le sénateur et vice-président du Sénat Thani Mohamed Soilihi rebondit aussitôt : « Justement, depuis toujours et par dogmatisme, on ne s’est jamais interrogé sur l’avenir à Mayotte des étrangers qui s’y trouvent, qu’ils soient en situation régulière ou non. Il est temps de s’y mettre. »
De notre point de vue, cela sous-entend de définir un nouveau modèle de société. Car ce ne sont plus seulement des personnes arrivées en kwassas qu’il va falloir reconduire, mais des jeunes nés à Mayotte. Nous avons toujours écrit dans ces colonnes que l’Etat est schizophrène, obligeant d’un bras à accueillir en scolarité tous les enfants jusqu’à 16 ans, pour ensuite de l’autre, les repousser dès qu’ils ont atteint leur majorité. Cela oblige à s’interroger, et sans doute à préparer très tôt ces jeunes scolarisés, à bâtir quelque chose aux Comores.
Parier sur l’avenir aux Comores grâce au nouvel accord-cadre
Pour le sénateur, l’évolution du droit du sol à Mayotte telle qu’il l’a voulue ne marchera qu’à trois conditions : « Il faut moins d’entrées que d’expulsions, s’attaquer plus sérieusement au tiers des habitants des cases en tôle qui vivent en situation irrégulière et dans des conditions indignes, ce qu’à commencé le GELIC, et surtout, grâce à la signature de l’accord cadre France-Comores, et les millions qui vont être débloqués, il faut inciter les familles et leurs jeunes à repartir chez eux ». Il rappelle que l’association Tama (ex-Mlézi) qu’il présida, avait initié un regroupement familial, « environ 40 enfants étaient rapprochés de leur famille aux Comores chaque année », mais qui n’avait pas fonctionné, « faute d’intérêt à se fixer là-bas, ils revenaient. »
Le sénateur prend un exemple à Vahibé « j’ai rencontré des gens qui en ont marre d’échouer dans leurs tentatives de régularisation, ils veulent partir. L’Etat doit mettre en place une politique incitative, avec l’aide des collectivités. Je verrai bien des jumelages avec les collectivités comoriennes. »
Une politique qui ne marchera que lorsque seront réellement mises en place des conditions acceptables de santé pour tous aux Comores, un des axes de travail de Dominique Voynet à la tête de l’ARS, et des conditions d’un début de développement, avec notamment un réseau électrique fonctionnel, et un système scolaire opérationnel.
Anne Perzo-Lafond