Ce qu’il y a de bien dans les études de l’Institut National des Statistiques et des Etudes Economiques (INSEE), c’est qu’en les tordant dans tous les sens, il en reste toujours quelque chose. La dernière en date donne une nouvelle fois une partition de l’île en quatre zones, des villages ayant des conditions de vie les plus difficiles à ceux où il fait meilleur vivre. Les premiers se situant plutôt à l’est, et les autres à l’ouest. Une différenciation qui n’est pas nouvelle, puisque deux cartes quasiment identiques avaient été produites, l’une en 2014, l’autre en 2017. Ce qui pose la question de la fatalité, et pour la conjurer, de l’impact des politiques menées.
Tout d’abord, Jamel Mekkaoui, directeur de l’antenne mahoraise de l’INSEE, met en garde contre toute tentative de superposition des trois cartes chronologiques : « Elles ne sont pas comparables, les critères d’évaluation ne sont pas les mêmes, ils ont été affinés avec le temps. Par contre, on peut tracer de grandes lignes d’évolution, et constater que les 16 villages les moins favorisés ont vu leurs conditions de vie se dégrader avec le temps, tandis qu’elles se sont améliorées dans les 10 village les mieux cotés ». Le fossé se creuse donc entre ces « deux Mayotte ».
L’étude note une forte concentration d’habitat en tôle (62%) dans les 16 villages en difficulté, dont moins de la moitié ont l’eau courante. Un quart des habitants des cases en tôle sont français, les autres sont donc étrangers, pour moitié en situation régulière. Quand on parle d’éclairer les politiques publiques, il sera donc forcément question de mettre en place des mesures pour les populations éligibles.
Seulement la moitié des villages en grande difficulté éligibles
Nous avons donc cherché à savoir si les villages les plus défavorisés étaient classés en Quartier Prioritaire Politique de la Ville (QPV). La « Politique de la ville » est un dispositif destiné à améliorer la vie quotidienne des habitants des territoires cumulant le plus de difficultés. Dans le cadre de cette politique publique spécifique, l’État, les collectivités locales et leurs partenaires s’engagent à travers le «contrat de ville» dans les domaines de la cohésion sociale, du cadre de vie et du renouvellement urbain mais aussi de l’emploi et du développement économique.
Surprise, la moitié seulement des villages en difficulté sont concernés. Nous avons repris la liste* de ces villages éligibles aux QPV, en la comparant à celle des 16 villages en grande difficulté**, ceux qui son éligibles sont Bouyouni, Dzoumogné, Dembéni, Ongoujou, Longoni, Majicavo-Koropa, Kahani et Miréréni.
Un manque de cohérence qu’explique Edgard Perez, numéro deux de la préfecture, qui endosse aussi les habits de sous-préfet à la Cohésion sociale, parti pour des problèmes de santé : « Les périmètres des Quartiers prioritaires politique de la ville sont définis en fonction d’une notion de pauvreté, établie par plusieurs critères dont celui du PIB par habitant. Et Mayotte est plutôt bien servie, puisqu’elle est dotée de 36 territoires prioritaires, dont 4 ouverts à un projet ANRU, de rénovation urbaine. Toutes les communes possèdent un ou plusieurs quartiers Politique de la ville. » Le dernier tracé de la carte des QPV date de 2014, « il n’y a pas de nouvelles modifications prévues. »
Absence de gouvernance
Une des mesures porteuses en terme de résorption du chômage dans ces quartiers éligibles, est celle des emplois francs, d’actualité jusqu’au 31 décembre 2019. Elle permet à l’employeur qui embauche pour une durée déterminée ou indéterminée un demandeur d’emploi résidant dans un QPV de bénéficier d’une prime. Donc un jeune résidant à Sada ou Tsingoni permettra à l’entreprise qui le recrute de bénéficier d’une incitation financière, ce qui ne sera pas possible s’il est résident de Vahibé, Trévani ou Hajangua. Une discrimination, « mais une discrimination positive, relève Edgar Perez, puisque l’effet recherché est l’incitation à l’embauche des jeunes de ces quartiers ». Le problème est là encore généralisable à l’échelle du territoire.
Mais la question de l’efficacité de ces mesures n’est pas dénuée de pertinence, souligne le sous-préfet, car il n’y a pas vraiment eu de gouvernance : « Nous installons seulement maintenant le GIP Politique de la Ville, dont nous cherchons un directeur. » Des problèmes de statut ont retardé la mise en place de cette structure pourtant indispensable, « elle assiste les communes en ingénierie, et dresse un bilan des actions. Au lieu de quoi, nous étions dans un saupoudrage, avec une logique de guichet, sans stratégie. Or, il faut investir dans les secteurs où le gain en emploi ou en lutte contre la pauvreté va être le plus important ».
Dernière avancée en date, celle de la Cité éducative à Mamoudzou, « nous bénéficions de financements portés par la collectivité et l’éducation nationale, notamment l’établissement scolaire, pour la réalisation d’actions ou d’acquisition de matériel. » Ce seront vraisemblablement l’achat de tablettes et d’ordinateurs pour les élèves qui sont éloignés du numérique, mais aussi du financement d’actions culturelles, dont on est certain qu’elles bénéficient à l’éducation des jeunes.
Anne Perzo-Lafond
* Village QPV : Village de Acoua – Village de Bouéni – Village de Chiconi – Village de Kani Kéli – Village de Mtsamboro – M’tsahara – Village de M’Tsangamouji – Chembenyoumba – Village de Sada – Village de Tsingoni – M’tsangadoua – Village Bandrélé – M’tsamoudou – Iloni – La Vigie (Dzaoudzi) – Choungui – M’tsapéré-Cavani-M’Gombani – La Vigie (Pamandzi) – Village Combani – Mroalé – Dzoumogné – Village de Bandraboua – Bouyouni – Nyambadao – Poroani-Mréréni – Village de Chirongui – Tsararano – Village de Dembéni – Village de Koungou – Barakani – Village de Ouangani – Ongoujou – Majicavo Koropa – Longoni – Kawéni – Kahani – Miréréni
** Les 16 villages les plus pauvres :
Bouyouni, Dzoumogné, Bambo-Est, Dapani, Hamouro, Mramadoudou, Dembeni, Hajangoua, Ongoujou , Longoni, Majicavo-Koropa, Trévani, Tsoundzou I, Vahibé, Kahani, Miréréni
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