Avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981, l’hyper centralisation administrative parisienne a peu à peu migré vers les Région puis les communes. En accédant au statut de Département en 2011, Mayotte n’a pu complètement absorber les strates administratives, et les 3 actes de décentralisation. Par exemple, établissements scolaires et routes sont toujours gérés par l’Etat. Elle va devoir pourtant appliquer la loi de transformation de la fonction publique qui décentralise un peu plus dans les mains du maire, comme l’expliquait Ginette Montcho Art, Experte en analyse financière, en contrôle de gestion privé et publique au ministère des Finances, invitée par le CNFPT.
Le cœur de cette loi est clair : « L’Etat fait face à un fort endettement, il doit donc se reconcentrer sur ses activités régaliennes. D’autre part, les usagers veulent plus de visibilité sur les services publics ». Le constat s’adresse à un parterre d’élus, de DGS et de DGA des collectivités territoriales de Mayotte, présents malgré l’heure tardive au Koropa ce lundi soir.
Une enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité montrerait que les administrés font globalement confiance à leur maire, mais que « s’il joue bien son rôle d’élu de proximité, il faut lui donner des marges de manœuvre plus importantes. » Ce qui pourrait s’apparenter à un IVème acte de décentralisation, appelle une vigilance, « il faut faire le point sur les transferts non accompagnés de budget », souligne-t-elle.
Or, à Mayotte, ce travail n’a encore jamais été fait. Notre statut de collectivité unique sans être passée par le traditionnel « Département-Région », en est la cause. Il est donc impératif qu’avant tout nouveau transfert, la Commission consultative sur l’évaluation des charges soit saisie par les élus. Sous peine d’avoir de nouveaux transferts sans compensation, une question que nous avions posée au président Macron lors de sa visite, sans obtenir de réponse concrète.
Inciter le recours aux contractuels
Chaque territoire agite d’ailleurs ses propres bémols sur la réussite des étapes de décentralisation, « le gouvernement ne veut pas réitérer les erreurs passées », relève encore Ginette Montcho Art. Si la loi se présente comme une « méthode cousue-main », chacun doit la décliner sur son territoire. « C’est pourquoi il est important que les élus comprennent ce qui se passe, et que les DGS et les DGA se forment. » Et que les communes se dotent de compétences, comme l’avait quelques minutes auparavant formulé la députée Ramlati Ali : « Ingénierie est un mot qui fâche ici, or ce n’est pas une insulte de dire que nous en manquons. »
Outre la refonte des instances du dialogue social*, le fond de la réforme s’apparente à un jeu de quilles dans la fonction publique. En cherchant un mix entre la réduction des dépenses, « quand vous mettrez en place une politique publique, vous devrez en évaluer le coût, comme des chefs d’entreprise », et le maintien du service du public, « la diminution des coûts peut inciter à la fermeture d’établissements de proximité, alors que l’action publique doit œuvrer pour le bien commun », difficile de trouver la juste mesure. Plusieurs (r)évolutions sont mises en place, dont l’incitation au recours aux contractuels ou l’application de la mesure de rupture conventionnelle pour les fonctionnaires.
« On n’a pas préparé Mayotte à être département »
L’analyste financière soulignait l’exigence des usagers par rapport à l’accès aux services publics, « ils veulent désormais avoir des informations 24h/24. Ce qui passera par la numérisation des services, et donc la formation face au taux élevé d’illectronisme. » Chaque canton sera aura une Maison France Service, qui permettra de simplifier la relation des usagers aux services publics.
Nous l’avons interpellée sur le contexte à Mayotte qui n’a pas encore intégré les différentes phases de décentralisation, et l’absence de création de l’intercommunalité du Nord n’est qu’un exemple parmi d’autres. Ginette Montcho Art rappelle que « on n’a pas préparé Mayotte à être département. Le statut a été octroyé sans mettre en œuvre d’accompagnement », ce que la Cour des Comptes avait résumé par « une départementalisation mal préparée et mal pilotée ». Mais il faut aussi se retrousser les manches sur place, « c’est fini le temps des paroles ! »
Les élus ont donc leur rôle à jouer : « Ils doivent se mettre au travail. Mayotte a voulu être française, il faut bosser pour un jour se hisser au niveau des autres DOM. Revendiquer sa dimension culturelle, c’est une bonne chose, mais ça peut représenter un frein quand les mentalités ne bougent pas. Il faut prendre conscience qu’on fait partie d’un même Etat, et arrêter les gabegies et le clientélisme ! » C’est par ce biais que de la valeur ajoutée se dégagera des politiques publiques, souligne-t-elle, « Mayotte ne peut pas se construire sans les Mahorais, et Mayotte ne peut pas se construire sans l’Etat. »
Le cadre est posé, si Mayotte ne veut pas une nouvelle fois louper le train déjà en marche, il va falloir motiver les troupes, et se former. C’est le rôle du CNFPT, dont la députée Ramlati Ali espérait qu’il ne serait pas touché par la réforme, « les CNFPT ultramarins sont maintenus », ni « régionalisé » avec celui de La Réunion, on en connaît les risques.
Autre sujet brûlant, la réforme des congés bonifiés avait fait parler d’elle en Outre-mer. « La surrémunération est à bout de souffle ». Cet avantage prévoit que les fonctionnaires originaires des DOM et qui travaillent en métropole ou dans un autre département d’Outre-mer peuvent disposer de 30 jours supplémentaires de congés. « Il ne s’agit pas de les supprimer, mais de faire évoluer la mesure ». Un décret devrait sortir « d’ici fin 2019 ».
Anne Perzo-Lafond
* Le Comité technique et le Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont remplacé par une instance unique, le Comité social
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