Bien que datant de 40 ans, la méthode reste révolutionnaire… mais les acteurs de l’emploi, toujours pas. La plateforme de l’emploi devait mettre en présence 100 entreprises et 100 demandeurs d’emplois, pardon, 100 postulants. Car il s’agit de personnes en marge du marché de l’emploi, « qui ont des compétences relatives », Philippe Eysseric va avoir besoin de beaucoup nous décrypter une méthode inhabituelle qu’il a déjà tenté dans le « Nôrd », comme l’aurait prononcé Galabru, pour cerner cette ancienne région de charbonnage, « où seulement 15% de la population est en emploi. Ça avait bien fonctionné ».
Le gérant de bureau d’étude Techné Cité a dressé un constat : « A Mayotte, 4.000 recrutements sont effectués par an, dont 1.400 non démarchés par l’entreprise, et 30% ne sont pas qualifiés. Il faut donc rapprocher le public de l’offre d’emploi, et inciter les entreprises à les recruter, qu’ils soient qualifiés ou pas. C’est après que nous devons travailler sur l’insertion sociale, en accompagnant les salariés et les entreprises ». C’est la méthode IOD, Intervention sur l’offre et la demande, créée dans les années 1980.
L’homme prêche l’interventionnisme, avant tout dans un esprit d’opposition à Friedman, « le monétariste qui développait l’idée d’un taux de chômage naturel ». Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976, visait la situation d’une entreprise monopolistique proposant des salaires trop bas, face à des travailleurs qui exigent un salaire plus élevé. Il était critiqué pour son « laisser-faire », qu’on oppose toujours à Keynes, pro interventionniste de l’Etat, pour « équilibrer les mécanismes fondamentaux ».
Problème de repérage
A Mayotte, où le taux de chômage a pris 5% l’année dernière, le portant à 35% et encore, sans compter le « halo » d’inactifs, on ne va pas rester les bras croisés. Dans le cadre du projet de rénovation urbaine NPRU de Kawéni, les acteurs se sont aperçus d’un gros déséquilibre : « Sur 35.000 emplois recensés dans la zone économique de Kawéni, seuls 8% sont occupés par les habitants du quartier », faisait remonter le maire Mohamed Majani.
Philippe Eysseric a donc proposé à la mairie de Mamoudzou de mettre en place ce dispositif où les publics en insertion ne vont plus d’échecs de formation en parcours d’insertion inabouti. On privilégie la mise en relation directe de ces personnes qui sont le plus souvent pénalisées par un déficit de réseau professionnel. Un challenge matérialisé par un appel d’offre de la CADEMA, et c’est Apprentis d’Auteuil qui l’a emporté.
Régine Le Men, Directrice d’Apprentis d’Auteuil Mayotte, a donc supervisé la mise en œuvre de cette opération, avec ses réussites et ses couacs : « Deux de nos salariés ont rencontré les personnes envoyées par Pôle emploi et la Mission locale, pour connaître leurs besoins. » Mais de toute évidence, le public n’est pas assez diversifié. En très grande majorité, ce sont des femmes d’une quarantaine d’années, alors que beaucoup de jeunes sont en galère. Un problème de repérage… « Les listes n’étaient pas à jour, et des sms émanant de Pôle emploi ont contacté des demandeurs sur l’ensemble de l’île pour ensuite se concentrer tardivement sur Kawéni ».
Des CDI grâce à l’interim
Or, des jeunes en situation régulière « et même diplômés », s’excluent d’eux-mêmes, « on les rencontre dans les quartiers, ils ne vont pas vers les institutions, ne sont pas inscrits à Pôle emploi ou à la Mission Locale ». C’est sans doute par là qu’il aurait fallu commencer. Mais le process est en route et, si toutes les entreprises ne sont pas présentes dans une MJC de Kawéni où tout le monde suffoque de chaleur, les entretiens commencent.
Les entreprises ont fait remonter leur demande en emploi, et les postulants, leur spécialité. Notre ronde nous amène devant le stand de Nikel Chrome/Restaurant Saphir, appartenant au groupe Bolé Consultance. Heureusement que nous n’arrêtons pas notre jugement là, « nous n’avons aucun emploi à fournir, j’ai une pile de CV comme ça », nous explique sa représentante, et vu la position de sa main, elle n’est en effet pas prête à recruter.
Certains font leur marché, comme les boites d’interim, et les besoins semblent nombreux : « Nous cherchons deux assistantes d’exploitation, deux soudeurs, un chef de chantier, deux assistantes commerciales, deux électriciens… » Chez Eurêka, on est plein d’espoir, y compris après que nous ayons posé notre question rédhibitoire : même si la personne n’est pas qualifiée ? « Bien sûr ! Nous faisons déjà du travail temporaire d’insertion, et nous accompagnons les entreprises. Sur 120 personnes recrutées en interim, nous avons 25 CDI aujourd’hui » Eureka a un agrément de Pôle emploi pour les personnes éloignées de l’emploi.
6 mois d’accompagnement pour éviter les clashs !
On comprend l’avenir du travail temporaire en écoutant OCX Logistique Express, transitaire aérien : « Nous avons des besoins dans l’administratif et la logistique, mais nous n’avons pas de temps à consacrer aux entretiens, nous passons donc par des agences d’interim. » Egalement prête à recruter une personne dépourvue de compétence, « c’est l’entretien qui va décider ».
L’objectif fixé est la signature de 25 contrats d’embauche à la suite de cette journée, avec poursuite d’accompagnement à la clef, explique encore Régine Le Men : « Nous accompagnons salariés et entreprises pendant 6 mois. Les premiers ont vite envie de jeter l’éponge au moindre clash, et les entreprises sont parfois trop exigeantes. Nous apportons une médiation, en expliquant les codes de l’entreprise au postulant, et en défendant le droit à l’erreur auprès des entreprises. »
A l’extérieur, les postulants attendent. Contrairement à celui qui vient de se présenter chez Cananga, en échec en raison d’une absence de maitrise de la langue, la plupart maitrise de « shizungu », le français. Animatrice périscolaire, non diplômée, ou éducatrice spécialisée avec expérience professionnelle ou encore agent d’entretien formée à l’Agepac (Apprenti d’Auteuil), ou maçon diplômé, tous ont été préparés à tenir un entretien.
En dépits des défauts d’organisation, la directrice Apprentis d’Auteuil veut aller de l’avant, « de toute façon, on n’a pas le choix, il faut continuer à expérimenter ».
Anne Perzo-Lafond
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