A 19h, pas de grosses bourrasques, les interrogations allaient donc bon train sur l’ampleur du dispositif au regard de la réalité tranquille de la situation. C’est toute la difficulté de l’exercice avec une situation qui aura été en limite de gravité sans l’atteindre dans la journée, avec un Belna qui nous aura presque ignoré. Le cyclone devait passer au plus près entre 21h et minuit, le dernier bulletin de 18h de la préfecture.
Les séquences d’urgence se sont succédées ce dimanche avec un déroulé rassurant. Si la décision de placer le territoire en alerte orange allait quasiment de soi en raison de la trajectoire du cyclone et des bulletins de triple vigilance sur la force des vents, de la pluie et de la houle, celle de la repeindre en rouge n’avait rien d’évident. Confiner toute une population est exceptionnel, et la manière dont cela a été mis en œuvre l’est tout autant.
Le territoire n’a pas forcément de mémoire vive sur la conduite à tenir en cas d’alerte rouge. Ce fut le cas deux fois dans l’Histoire, en 1976 pour le cyclone Clotilde, et en 1984, Kamisy. Depuis, les éléments nous avaient à peu prés oublié. C’est pourquoi les messages de l’Etat de mise à l’abri ont été différemment perçus au départ, avec négligence la plupart du temps. « Quand on montre aux habitants qui passent devant le collège les images de la trajectoire du cyclone sur nos portables, ils ne nous croient pas », relatait une enseignante du collège de Koungou samedi.
C’est pourquoi la décision du préfet Jean-François Colombet d’envoyer les forces de l’ordre répandre la bonne nouvelle par delà les rues, s‘est avérée novatrice et payante. Car cela a déclenché des migrations vers des hébergements plus sûrs de proches, ou vers ceux des mairies. Dès le départ les maires ont été sollicités sur leur plan communal de sauvegarde, qu’ils avaient pu expérimenter en avril lors du passage de Kenneth. Ils ont plutôt pas mal fonctionné selon le préfet, « les maires font un travail remarquable ».
Garder la mémoire des incidents
A Koungou, comme en avril, le « la » a été donné par le collège de Koungou. Qui faisait fort puisque dès samedi soir, prés de 400 personnes venaient y passer la nuit. Alors que les éléments ne s’étaient pas encore déchainés, les habitants avaient donc pris connaissance des informations relayées notamment par les mosquées. Certains avaient en mémoire l’évacuation de Kenneth en avril, d’autres avaient leurs propres repères, notamment ceux qui arrivent du quartier de Carobouana, zone de l’éboulement meurtrier de 2018.
Car si le collège de Koungou est intégré comme les autres établissements scolaires au plan communal de sauvegarde, ce ne sont pas des personnels de mairie qui assurent la permanence pendant ces journées d’alerte, mais bien des enseignants ou cadres bénévoles du collège, pour veiller sur la population et distribuer de la nourriture. « Nous nous sommes organisés en équipes, la prochaine va arriver pour nous relayer pour la nuit », nous explique Marie Duclos, assistante de prévention et de sécurité au collège de Koungou. Des parents relais sont sollicités. A la mairie, Mounirou Ahmed, DGA Développement humain, économique et social, évoque le « travail exceptionnel » mené par l’équipe de la principale du collège, Sophie Bourdin.
Il nous explique qu’à l’approche de la 2ème nuit, le collège prévu pour accueillir « jusqu’à 900 personnes en mode dégradé », affichait complet. L’approvisionnement en eau potable par un container livré par la préfecture de Mayotte, « et du pain, du Nutella, du café et du sucre ont été fournis par l’entrepreneur Tanchiki Maoré ». Les biscuits BN ont été livrés par la mairie.
Dans un lit médicalisé
Dans la grande salle remplie de tapis, les femmes et les enfants tentent de dormir en s’éventant, dans une chaleur pénible, seuls trois de la dizaine de brasseurs d’air fonctionnent. La Croix rouge s’active pour mettre en place des ventilateurs.
Samedi soir à l’extérieur, on assistait à une scène consternante : des jeunes tentaient d’ériger des barrages pour caillasser les automobilistes, « ça fait trois semaines que ça dure, quasiment tous les jours », nous explique avec fatalité un des agents de sécurité du collège.
A côté du collège, les écoles de la commune sont restées vides samedi, puis se sont vite remplies dimanche, rapporte Mounirou Ahmed Boinahery : « Personne ne voulait s’y rendre, alors que nous avions détaché du personnel pour ça. Là ça y est, depuis que les conditions se sont dégradées, les gens s’affolent. Un monsieur m’a interpellé parce que son père est dans un lit médicalisé, mais je ne peux rien faire, en plus à une demi-heure de l’application de l’alerte rouge ! ». Il regrette que les habitants n’aient pas davantage anticipé. Quatorze des seize groupes scolaires de la commune sont ouverts, en présence du directeur d’école, d’un élu et d’agents de la mairie.
A 17h ce dimanche, 2.200 personnes étaient hébergées, sur une population à abriter évaluée à 20.000, nous explique le DGA.
Gilles Halbout, le vice-recteur, nous explique avoir pu compter sur une « belle mobilisation des personnels d’éducation national, que ce soit du personnel de direction, des infirmières, des directeurs d’école, des enseignants, des personnels d’encadrement. » L’important était aussi d’avitailler correctement ces centres d’hébergement, surtout avec une coupure d’eau généralisée depuis 16h, « l’eau a été le grand enjeu, nous y sommes arrivés grâce à une grande solidarité de tous les acteurs. Désormais, nous gérons le médico-social. »
Belna restera-t-il dans les mémoires ?
A Mamoudzou, les maillots jaunes sous le commandement de la police nationale se sont fortement mobilisés dans tous les quartiers dès 8h30 ce dimanche, en aidant la mairie à organiser la conduite de la population vers les points de rassemblement encore demain, explique Thierry Lizola, en charge du Bureau partenariat Police Nationale. Le collectif Vivre Ensemble et le collectif de Lutte Contre la Délinquance ont également été très présents. « Sans oublier les services civiques et les réservistes civiles de la police nationale, soit 200 personnes en renfort de la police nationale et des collectivités demandeur de notre dispositif. »
Si jamais Belna persistait à nous ignorer, le grand bénéfice de la journée aura été de mettre en place un vaste exercice grandeur nature, dont il faudra conserver la mémoire du côté des organisateurs. Du côté de la population, ce sera plus difficile en l’absence de déchainement des éléments, mais elle devra se persuader qu’elle a simplement eu de la chance cette fois.
Anne Perzo-Lafond