Le procureur revenait lundi soir sur le démantèlement d’un réseau de passeurs mettant en cause un policier de la police aux frontières. Signe du malaise que peut susciter de genre d’affaire où des policiers sont amenés à faire tomber un de leurs propres collègues, le procureur a insisté à plusieurs reprises sur le fait que “ce n’est pas une affaire qui éclabousse la PAF, c’est une affaire qui honore la PAF. Cela montre à la fois la loyauté dont fait preuve l’institution de la police, le courage de ces policiers capables de mener des investigations y compris sur l’un des leurs.” En interne, on va même plus loin ,estimant que “ce n’est plus un collègue mais un voyou”.
“C’est toujours avec regret qu’un service de police constate qu’il y a dans ses rangs un agent qui trahit ses valeurs mais, à chaque fois que cela se produit, c’est sans état d’âme que le nécessaire est fait. Il n’y a aucune place pour le corporatisme dans ce type de situation”, appuie, par voie de communiqué, le commissaire Cavier de la Police aux frontières (PAF).
L’enquête a été menée à bien par la brigade mobile de recherche (BMR) de la PAF. Les éléments recueillis depuis plusieurs mois ont donné lieu le 27 septembre à l’ouverture d’une information judiciaire par un juge d’instruction. “La brigade mobile de recherche est une unité qui conduit des enquêtes avec une telle détermination qu’on arrive à faire déboucher dans des délais relativement courts des enquêtes complexes” salue le procureur.
Au total, ce sont 8 interpellations et 7 personnes déférées, soit 4 la semaine dernière et 3 ce lundi. “Toutes ces personnes ont été mises en examen pour aide à l’entrée et au séjour d’étrangers, corruption active et corruption passive.” Après leur passage devant le magistrat instructeur, “le juge d’instruction a saisi le juge des libertés et de la détention, les 7 personnes ont demandé un délai pour préparer leur défense. Ce délai est de droit et ne peut excéder quatre jours.” Toutefois ce délai peut se dérouler… En prison, et c’est ce qui s’est passé. “Ce soir les 7 personnes dorment à Majicavo, poursuit Camille Miansoni. Chacune des 7 personnes reviendra devant le JDL pour que l’on débatte de leur placement ou non en détention provisoire le temps de l’enquête. Celle-ci est relativement avancée, je pense que c’est un dossier qui aboutira en 2020”.
D’ici là “il reste des investigations à mener pour voir l’étendue de ce réseau. La période que nous ciblons court de janvier 2019 à la semaine dernière. Pendant ces 11 mois il y a environ 130 voyages identifiés”. A raison d’une moyenne de “13 à 14 passagers par voyage”, c’est un réseau relativement important mais surtout “bien structuré” indique Jean-Marie Cavier, commissaire de la PAF.
“On sait que la tête du réseau est à Anjouan. Le frère de celui-ci fait partie des 7 personnes interpellées ainsi que sa compagne” note aussi le procureur.
Quant au policier mis en cause, “c’est un fonctionnaire qui a une expérience de terrain, il est à la brigade nautique, sur l’eau. Il a déjà éveillé quelques soupçons puisque l’année dernière il a été impliqué dans un dossier de contrebandes de cigarettes mais son rôle n’avait pas été très clairement établi. Au fil des mois il est apparu qu’il avait un rôle dans un certain nombre de réseaux et qu’en particulier il fournissait des informations aux pilotes de kwassas en leur disant de passer par là, ou quel jour. C’est un comportement qui n’était pas gratuit. Et pour la PAF c’est un comportement extrêmement dangereux. Quand vous avez l’un des vôtres, l’un des plus expérimentés, qui se permet de donner vos positions et votre stratégie, ça met en péril la sécurité des équipages. Il était nécessaire d’y mettre fin.”
Sur ses déclarations, le procureur reste évasif mais explique que “souvent ce sont des gens qui ont tendance à minimiser. Les éléments indiquent bien qu’il avait un rôle actif et quasiment permanent au sein du réseau. Il avait une connaissance parfaite de tous les dispositifs de lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte.”
Si le parquet n’a pour l’heure pas d’estimation des revenus de ce trafic, il est jugé “suffisamment lucratif pour qu’il fasse fi de sa déontologie et mette en danger ses camarades”.
Y.D.