La secrétaire d’Etat Christelle Dubos participait à la 2ème Conférence régionale des acteurs de la lutte contre la pauvreté. Une rencontre qui avait un petit arrière goût de précipitation répondant à l’arrivée ministérielle, mais elle faisait le bilan d’actions déjà en place. La mise en place de la Stratégie de Prévention et de lutte contre la pauvreté a été décidée en 2018 par le président Macron, en partenariat avec les départements dans le cadre d’une convention. « Un défi au regard de la pauvreté ici et de la faiblesse de niveau de vie de la population », introduisait Soibahadine Ibrahim Ramadani, président du Département. Une pauvreté qu’il liait à l’immigration clandestine, « qui reste encore hors de contrôle, malgré l’optimisme dégagé par le préfet ».
Ce dernier convenait du poids de l’immigration clandestine, « elle a déstabilisé le système scolaire, l’offre sanitaire, et toute la société », rapportait Jean-François Colombet. Si un travail en amont doit être mené pour l’infléchir, la prise en charge de ces populations aux conditions de vie précaires est indispensable. « Certains enfants n’ont pour seule demeure que la rue, il faut donc commencer par leur donner un toit », indiquait Ibrahim Bacar, un ancien conseiller général, et gérant de TPE. Il évoquait le temps béni où, avec feu-Younoussa Bamana, la SIM produisait 1.000 maisons par an.
Le préfet rappelait les enjeux de 30.000 logements sur 10 à 15 ans. Des opérations sont en cours comme nous l’avions rapporté à Kawéni, et Jean-François Colombet évoquait les enjeux : « Nous allons reloger des quartiers entiers grâce à un habitat-type, mais pour lequel il reste encore des freins réglementaires madame la ministre, c’est pourquoi nous vous sollicitions. »
« Des familles se paupérisent au sein des villages »
Des logements insalubres auxquels on s’attaque aux périphéries des villages, une opération qui ne peut être menée seule, met en garde Abdou Dahalani, président du Conseil économique et social : « On nous dit que 30% de Mahorais vivent dans des logements insalubres, mais il s’agit de personnes naturalisées récemment qu’il faut en effet reloger. En parallèle, il y a des familles au sein des villages qui se paupérisent, dont plusieurs sont monoparentales, et qu’il faut aussi intégrer dans cette stratégie pauvreté. »
Une stratégie de lutte contre la pauvreté ne se limite pas au logement, et fait intervenir de nombreuses associations, dont les poids lourds Mlézi Maore, Croix Rouge, Solidarité Mayotte ou Apprentis d’Auteuil, chacun dans leur domaine, de l’insertion professionnelles, axe mis à l’honneur, à la distribution de bons alimentaires contre participation financière à la Croix Rouge, ou aux maraudes pour prendre en charge les mineurs errants dans la rue.
Plusieurs structures se sentaient oubliées, tel l’UDAF, l’Union départementale des Associations Familiales, « pourtant, nous avons une expertise de longue date sur la cohésion sociale », commentait son président Ali Nizary, ou l’UDCCAS, l’Union Départementale des Centres Communaux d’Actions sociales, toutes jeunes sur le territoire, mais qui ont pleinement investi le champ dans certaines communes. « Vous prendrez la place que vous vous donnerez », leur répondait Jérôme Millet, sous-préfet Commissaire à la lutte contre la pauvreté.
En 2019, 96 actions ont été menées dans le cadre de cette stratégie, comme le détaillait Issa Issa Abdou, vice-président du Département Chargé de l’Action sociale, « le financement de 10 projets de crèche, des ateliers d’insertion comme le reboisement en forêt de Majimbini, l’Epicerie mobile, les garages et laveries solidaires, un travail étroit avec la Chambre régionale de l’Economie sociale et solidaire pour inclure des clauses sociales dans les marchés publics, autant de biais qui permettent de sortir un peu de l’économie souterraine. »
Trop de plans tue le plan
« 2020 sera l’année des actions fortes collant au diagnostic du territoire », indique Patrick Bonfils, directeur de la DJSCS, bientôt de la Dieccte enrichie de la Cohésion sociale. Outre le logement, la Stratégie de lutte contre la pauvreté est centrée prioritairement sur l’enfance, elle devra venir à bout d’un chiffre qui s’entête sur la durée, livré par Jamel Mekkaoui, directeur de l’INSEE Mayotte, « 6 enfants sur 10 étaient illettrés en langue française en 2012, un chiffre qui n’aurait pas bougé selon le RSMA ». Le niveau de formation et donc d’emploi s’en ressent avec 70% de la population non diplômée, « contre 20% en métropole. »
L’instruction dès le plus jeune âge, le renforcement des offres périscolaires, l’accompagnement à la parentalité, notamment la monoparentalité, l’amélioration de la prise en charge dans les PMI, les Protection Maternelle et Infantile, sont d’autres axes de travail.
Le diagnostic d’amélioration de compétence chez les associations accompagnantes livré par Olivier Noblecourt, délégué interministériel, suit son chemin, puisqu’un pan de la stratégie est réservée à l’amélioration de l’offre de formation, notamment des travailleurs sociaux, BTS ou Validation des Acquis de l’Expérience (VAE).
Trop de stratégie peut tuer la stratégie, mettait en substance en garde le président du Département, « nous avons déjà le pacte territorial pour l’insertion, le Schéma enfance et famille, et maintenant la Stratégie de lutte contre la pauvreté », on s’y perd un peu à vrai dire. Et l’UDCCAS a la sienne, « nous venons de recruter une chargée de mission sur un financement Etat pour donner les orientations politiques à l’échelle territoriale. Une cohérence d’ensemble est indispensable pour éviter la noyade, et Abdou Dahalani va plus loin, « il faut établir des indicateurs pour chaque objectif et dresser des bilans réguliers. »
Si pour la ministre, il en va de la « lutte contre les inégalités de destin », qui l’incite à annoncer « 35 centres sociaux d’ici 2022 » sur l’île, elle n’a qu’un seul mot d’ordre, « Foncez, il n’y a pas de temps à perdre ! »
Anne Perzo-Lafond