Six mois après le dernier bilan, le préfet a enfin été autorisé à communiquer sur les chiffres de la délinquance à Mayotte. Des chiffres “officiels”, validés et “affinés” par le ministère de L’intérieur. C’est ce filtre parisien qui nous empêche d’avoir cette année la distinction entre zone police et zone gendarmerie, qui est habituellement communiquée.
Globalement donc, les chiffres présentés ce lundi par le préfet Jean-François Colombet sont assez positifs. La délinquance générale, tous faits confondus, est en légère baisse de 1,9% par rapport à 2017. Si 2017 fait office d’année de référence, c’est en raison des grèves qui ont paralysé l’île en 2018, faussant largement les chiffres. Ainsi en 2019, on compte un total de 8818 faits de délinquance contre 8989 en 2017. C’est moins que les quelque 11 000 faits enregistrés en Ardèche, département rural à population similaire (un peu plus de 300 000 habitants) dont le préfet Colombet a été directeur de cabinet de la préfecture, d’où la comparaison. A ceci près qu’en Ardèche, les maisons n’ont pas toutes des barreaux, la comparaison est à prendre pour ce qu’elle vaut.
Dans l’ensemble donc, la situation “s’est sensiblement améliorée” assure le préfet qui admet toutefois que “les Mahorais ne le perçoivent pas, car la société est plus violente”, notamment du fait des affrontements entre jeunes.
Ceci étant dit, il est nécessaire de regarder les chiffres dans le détail, car tout ne baisse pas, au contraire.
Ainsi par exemple, les atteintes volontaires à l’intégrité physiques bondissent, +16,3% par rapport à 2018 et + 8,7% par rapport à 2017. Une hausse portée par l’explosion des violences non crapuleuses (gratuites) qui gagnent 12,3% depuis 2017. Deux explications viennent étayer cette hausse qui serait mécanique. D’une part, les plaintes des gendarmes victimes de caillassages : 235 plaintes émanant des forces de l’ordre ont été déposées en 2019. Ensuite, les violences sexuelles et intrafamiliales sont aussi en forte hausse (respectivement +48,4% et +47,6%), principalement du fait d’un plus grand nombre de plaintes et de signalements, fruit des “politiques publiques” assure le préfet. Grenelle sur les violences faites aux femmes, action des associations et meilleurs formation des agents pour recevoir les victimes pèsent dans la balance.
A l’inverse, les vols avec violence chutent de 13,8% par rapport à 2017 et les vols en général baissent de 11,4%. La plus forte baisse concerne les cambriolages, avec -30,8% de faits constatés. Une tendance déjà remarquée les années précédentes du fait d’un recours quasi systématique aux barreaux, gardiens et autres protections des bâtiments.
+73% d’infractions financières
Dans le détail, on note 55 faits de vols sur des sites touristiques, il y en avait près de 40% de plus les années précédentes. L’arrestation de bandes éminentes a porté ses fruits. Point noir, des agressions signalées au lac Dziani sur Petite Terre marquent une nouveauté. Les “coupeurs de route” sont eux aussi moins nombreux, avec 21 faits sur l’année, sont 12 à Koungou en décembre lors des violences urbaines qui ont secoué la commune, la plupart des autres faits ayant été commis entre février et mars 2019.
La délinquance qui augmente le plus, ce sont les infractions économiques et financières, qui bondissent de 73,3% par rapport à 2017. “C’est la rançon de notre développement” assure le procureur Camille Miansoni. En effet, de plus en plus d’habitants ont un compte en banque et une carte de paiement, il y a donc une hausse mathématique du nombre d’arnaques liées aux moyens de paiement numériques. Ce chiffre inclut aussi la délinquance en col blanc et autres “atteintes à la probité” qui “se révèlent sans doute un peu plus” indique le procureur.
Tous ces chiffres sont à mettre en parallèle avec la hausse massive des effectifs de forces de sécurité dans l’île. La police aux frontières a ainsi gagné 34,2% d’effectifs, on note +20,3% de policiers au commissariat, +16% de gendarmes départementaux et +35,7% de gendarmes mobiles, du fait du troisième escadron pérennisé. En tout, les forces de l’ordre sont 25% plus nombreuses qu’en 2017. Pour le coup, les grèves de 2018 y sont directement pour quelque chose.
Enfin il est un sujet sur lequel les autorités ne relatent aucun satisfecit, c’est celui de la sécurité routière. 2019 compte 14 tués sur les routes mahoraises, contre 5 en 2018 et 8 en 2017. Les accidents corporels sont moins nombreux mais bien plus graves, et des actions en ce sens sont à attendre sur les routes de l’île.
Si les autorités justifient la hausse de certains chiffres par une augmentation des plaintes, cela se vérifie dans l’action judiciaire. Ainsi, le centre pénitentiaire de Majicavo accuse un remplissage record de 134,5%, c’est le chiffre “le plus élevé depuis l’ouverture du centre” indique le procureur. Et cela s’explique. En 2017, 156 écrous (ordres d’incarcération) ont été signés, il y en a eu 307 en 2018 et 352 en 2019. Parmi les détenus, 60% sont en attente de jugement, signe d’un recours important à la détention provisoire, et d’une volonté de balayer toute accusation de “laxisme”.
Pour le procureur, c’est là “le résultat du travail accompli” même s’il “ne s’agit surtout pas de se satisfaire”.
En effet, du travail reste à accomplir. Difficile de parler du fruit des grèves de 2018 sans voir le retour des violences près des établissements scolaires qui les avaient motivées. Le préfet déplore “près des établissements scolaires des situations qui sont insupportables. Des enfants arrivent à 4h30 du matin dans une zone non éclairée” indique-t-il, en référence à la situation du lycée professionnel de Kawéni. “On va mettre de l’éclairage public, ouvrir la MJC (de Kawéni) aux jeunes porteurs d’un titre de transport, et revoir les horaires des cars” pour les déposer au plus près de l’ouverture du lycée, poursuit le préfet. Des réunions doivent en outre avoir lieu dans chaque établissements pour lister les besoins spécifiques, en partenariat avec les élèves, premières victimes de ces faits.
En revanche, la promesse de communiquer ces chiffres à chaque trimestre semble être devenue caduque, quand bien même c’était un engagement du plan pour l’avenir de Mayotte, et une condition à la levée des barrages. “La règle c’est une communication par an”, indique le préfet, qui ajoute que s’il a “l’autorisation, je le ferai tous les trois mois”.
Y.D.