Définir la délinquance à Mayotte et ses causes en quelques mots ne nécessite pas d’être un spécialiste des questions de société. Tout comme ailleurs, la délinquance se défit ici comme un ensemble d’infractions et délits commis par des individus dans un territoire donné pendant une période déterminée. Les causes sont multiples : perte de l’autorité parentale, absence de mesures intégratives et inclusives, une immigration massive et une pauvreté sévère.
Ici chaque année, nous attendons avec impatience tels les chiffres d’affaires des grandes multinationales du CAC 40, ceux de la délinquance et ceux du nombre des personnes reconduites à la frontière. Parce que ici délinquance et lutte contre l’immigration clandestine sont intimement confondues à tort ou à raison. Et d’avancer des indicateurs de mesure peu ordinaires : baisse du volume du riz importé, baisse du nombre de cartes téléphoniques prépayées vendues, taux d’occupation (+ de 130 %) à la prison de MAJICAVO. En ce qui concerne la délinquance, à demi mot, on reproche même aux mahorais de ne pas porter assez plainte. On stigmatise, on montre du doigt une communauté, on balance les clichés. Les délinquants seraient tous ou presque issus des familles immigrées et clandestines. Le raccourci facile pour nous faire oublier la réalité. Le délinquant peut être aussi un petit français de Mayotte. On oublie aussi la misère, la pauvreté de beaucoup de familles française de Mayotte.
Aucun chiffre non plus sur la « désistance », c’est-à-dire l’arrêt d’un parcours de délinquance, au contraire de la récidive. Oui, ce chiffre est inexistant parce que les politiques mises en place sont, soit inefficaces, soit éloignées des réalités quotidiennes des jeunes. Nous faisons fi de notre misère pour oublier celle des autres.
Délinquance ou sainteté ?
S’agissant précisément de la délinquance, quel est ce pays où les enfants naissent délinquants ? Oui, nous venons au monde, chacun avec sa personnalité mais sans les prédispositions d’un délinquant ou d’un criminel. Sauf à nous méprendre, il ne peut pas y avoir d’individus nés avec une prédestination ou un héritage de délinquant, ce serait monstrueux de croire en cela. Bien sûr que c’est aussi faux de croire qu’à la naissance, nous sommes délinquants ou saints de façon innée. C’est aussi faux de croire ou d’affirmer que la plupart des délinquants sont nés dans une famille pauvre ou immigrée. C’est notre éducation, l’environnement immédiat et les actes personnels qui essentiellement peuvent nous amener à la délinquance ou à la sainteté. Il y a des enfants issus de l’immigration ou des familles pauvres qui font d’excellentes études et au demeurant ne sont pas des délinquants. Il y a des enfants issus de familles relativement aisées qui sombrent dans la délinquance sans être immigrés ou clandestins. Ils ont eu une éducation insuffisante. La déviance n’a ni couleur, ni nationalité. C’est l’absence d’éducation et d’encadrement suffisant de tous les acteurs.
Précisément, de quelle éducation s’agit-il ? Celle des parents bien sûr parce qu’ils sont les premiers à avoir le contact avec l’enfant, qui le nourrissent et subviennent à ses besoins. II y a aussi l’école, notre bien commun qui est un lieu d’apprentissage dans un premier temps pour les jeunes, et dans un deuxième temps, elle est un lieu de socialisation et d’échanges parce que l’accès à une culture commune voulue par la république se réalise par l’éducation et la formation. On ne nait pas délinquant, on le devient parque que les parents et la société auront échoué dans leurs missions d’éducation. Notre école et notre société sont mal préparées pour faire face à la montée de la délinquance, c’est un fait et pourtant sans eux, toutes tentatives d’une politique de remédiation y compris par la répression seront vouées à l’échec.
L’indépendance des Comores : un échec contagieux
Plusieurs facteurs sont directement ou indirectement en cause, nous en retiendront trois :
• L’indépendance des Comores proclamée en 1975 est un échec qui a eu le don de jeter des milliers de gens sur le chemin menant à Mayotte à la recherche d’une vie meilleure. Cela n’est pas sans conséquence sur l’organisation de notre système éducatif tant sur le plan du calibrage et du dimensionnement des moyens que sur le plan de la qualité des enseignements. Notre système crée beaucoup des « laisser pour compte » malheureusement et la société dispose de peu de mesures le même échec de la départementalisation de Mayotte n’en déplaise à certains. Un grand défi se dresse alors devant nous pour redresser sans tabou une situation déjà mal engagée.
• Les premières mesures de la politique de protection de l’enfance et des mineurs entrées en vigueur à Mayotte ont dicté les droits de l’enfant. Mal comprises ou mal interprétées, elles ont eu pour effet d’enlever de la conscience collective toute autorité de parents sur l’enfant. Le mineur devient celui du « procureur » et l’enfant, celui du « juge ». L’enfant roi est alors né et avec lui, la disparition de l’autorité parentale.
• Il y a enfin la dégradation notre système éducatif traditionnel, communément appelé « école coranique ». Imitant le modèle laïc, le CHIYONI devient MADRASSE et a abandonné ses fondamentaux et ses fonctions sociales. Relevant de la sphère communautaire, civile ou privée et échappant à tout contrôle de l’Education Nationale et à la notabilité villageoise, le système ne transmet plus les savoirs techniques traditionnels, les modèles, les valeurs de notre société et les symboles légués par notre histoire. Il se consacre exclusivement à l’enseignement du dogme de l’islam. Les enseignements sont aussi idéologiques. Le KWEZI, devient AS-SALAM-U-ALAIKUM et le MBONA se transforme en WA ALAIKUM ASSALAM… Le dress code a changé aussi. Le boubou, le Kofya ou le bonnet musulman sont de rigueur chez les garçons et les filles en robe longue, foulard, hidjab ou djellaba et pour les cas extrêmes, le niqab. Les signes ostentatoires religieux sont fortement marqués. De fait, l’école coranique, jadis paisible et « multidisciplinaire », entre en conflit avec le système laïc mais aussi avec la société.
Aujourd’hui presque tous les pays du monde sont confrontés à la délinquance même si les causes diffèrent d’un territoire à un autre. Le phénomène est mondial à tel point que les Nations Unies, dans leur résolution 45/112 du 14 décembre 1990, avait adopté et proclamé en assemblée générale les Principes directeurs dits de RIYAD pour la prévention de la délinquance juvénile. C’est le cadre, probablement le plus complet devant nous inspirer pour peu qu’on ait la volonté d’agir. La délinquance n’est pas une fatalité ici comme ailleurs. Il serait illusoire de penser que les seules mesures répressives sont la seule solution à la lutte contre la délinquance. Nous vivons dans une société déréglée parce que mal préparée pour faire face aux défis du monde moderne. Nous avons besoin d’une école forte et respectée, une école de la réussite. Les sociétés qui arrivent à se moderniser, à intégrer leurs enfants sont celles qui ont pris le pari de l’éducation et de la formation des filles et des garçons, détour indispensable pour la réussite de leurs politiques publiques et à s’engager dans la voie l’émergence. Autant nous sommes capables de planter un policier, un gendarme à chaque coin de rue, autant nous devons poster un enseignant, un formateur et un éducateur dans chaque coin de rue, dans les quartiers, dans les entreprises, dans les usines et dans les écoles.
L’éducation et la formation ne sont pas de vains mots. C’est le fondement même de notre modèle de société qui assure à chaque individu le développement de toutes ses capacités pour lui permettre d’affronter sa vie personnelle, de la gérer en étant un citoyen respectueux des règles et règlements communs. Voilà les défis qui présentent en nous.
Issihaka Abdillah
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