Si ce lundi avec un nouveau plus haut de 32 nouveaux cas, l’ARS souligne l’intensification de la circulation du virus, Dominique Voynet la relie toujours à la montée en puissance des tests, « Je ne crois pas que le virus circule partout dans l’île et que la situation s’aggrave », expliquait-elle ce jeudi en audioconférence de presse. La directrice de l’ARS répondait aux questions des journalistes qui mettaient en évidence l’accroissement du nombre de nouveaux cas depuis une semaine. Le contraste est saisissant avec les autres départements d’outre-mer, où le virus semble avoir fait un petit tour avant de stagner.
La Réunion, enregistre 418 malades déclarés ce lundi, dont zéro nouveaux cas pendant plusieurs jours. Ils sont 58 à être considérés comme cas autochtones, n’ayant qu’un lien indirect ou aucun lien avec un cas importé. Les Antilles, légèrement plus peuplés que nous, ont deux fois moins de cas, mais ils sont plus mortels : la Martinique est au stade 3 en raison de ses 14 décès, mais peu de nouveaux cas, 175 au total, et en Guadeloupe, 10 décès sont à déplorer pour 149 cas. La Guyane à la population équivalente, enregistre 109 cas déclarés et un décès. Et très peu de nouveaux cas quotidiens. A Mayotte un nouveau bond ce lundi porte à 433 le nombre de cas déclarés, c’est à dire que nous dépassons la situation réunionnaise avec une population trois fois moindre.
Regardons le nombre de tests par territoire. La situation est très hétérogène. La Guyane teste peu, en espérant monter jusqu’à 300 tests par semaine grâce à l’intervention de laboratoires privés, rapporte Guyane la 1ère. La Guadeloupe a une capacité de 300 tests par jour, indique l’ARS qui espère atteindre les 1.000 d’ici mi-mai. Et à La Réunion, 4.300 tests ont été pratiqués, selon Réunion la 1ère. Avec 350 tests de dépistages pour 100.000 habitants, l’ARS Réunion se présente comme « un des départements de France et d’Outre-mer qui dépiste le plus en proportion de sa population. Nous dépistons largement y compris des personnes qui présentent peu de symptômes ».
Mayotte rattrape doucement son retard. Avec toujours un écart entre l’objectif affiché de 200 tests par jour (et de 1.000 à moyen terme moyennant l’arrivée de la commande d’appareillage spécial) et la réalité. En effet ce 27 avril, l’ARS de Mayotte indique que plus de 2.600 tests ont été pratiqués, un compteur qui était resté bloqué à 2.500 les jours précédents. Si ramené au nombre d’habitants (environ 300.000 ici), nous dépasserions le score réunionnais, le rythme élevé de nouveaux cas quotidien, plus d’une vingtaine, appelle à accentuer les dépistages en sollicitant le laboratoire privé.
Densité et liaisons aériennes comme facteurs aggravant à Mayotte
Pour expliquer le fossé qui se creuse avec les autres Outre-mer, la directrice de l’ARS évoque la montée en puissance du nombre de tests à Mayotte. En raison d’un retard à la l’allumage en réactifs, stoppés par le pont aérien, nous n’avons pas massivement testé, permettant au virus de circuler. Il faut donc rattraper une situation qu’on a laissée s’épandre. Surtout que les autorités de santé ont découvert que beaucoup de personnes asymptomatiques ou hospitalisées pour d’autres raisons se révélaient positives.
Si la politique de test est une explication de l’avancée de notre train de contagion, là où il semble arrêté en gare dans les autre DOM, ce n’est pas la seule.
L’exiguïté du territoire est une donnée à ne pas négliger, puisque si notre taille de population est la même qu’en Guyane, le territoire français des Amérique est plus de 200 fois plus grand que le nôtre. Nous sommes un peu comme confiné sur 374 km2, ce qui implique de redoubler de vigilance. Les experts reconnaissent que la densité de population joue un rôle aggravant, ainsi que la diffusion par les liaisons aériennes et les échanges commerciaux. Nous avons cumulé au début de la crise les deux handicaps.
Autre explication alarmante, la difficulté croissante d’identifier les cas contacts. On sait qu’une personne positive au Covid va en contaminer en moyenne 3 autres. Or, de plus en plus de malades n’oseraient plus se signaler, de peur d’être mis à l’écart, voire exclus de leur logement, selon l’ARS. Ils ne sont donc pas identifiés, provoquant des catastrophes sanitaires en chaine sur leur entourage. En découle le retard du diagnostic, ce que justement les autorités tentent de rattraper avec un accent mis sur les tests. « Les équipes de Santé Publique France se retrouvent confrontées à cette omerta lorsqu’ils essaient d’enquêter sur le cas contacts », nous explique l’ARS. La préfecture appelle à « cesser de stigmatiser les malades ».
« Maladie honteuse » ou contacts honteux ?
La contagiosité est le lot de beaucoup d’autres maladies, alors pourquoi montrer celle-ci du doigt ? Difficile de comprendre la raison de cette mise à l’écart. Doit-on rappeler que la dengue, à l’origine de 12 décès, tue davantage à Mayotte que le Covid ? « Quand vous avez la grippe, personne ne se cache ! », s’exclamait encore Dominique Voynet. « Le Covid-19 n’est pas une maladie honteuse », rapporte l’ARS, qui met en garde contre l’isolement social des malades qui ont besoin d’être psychologiquement entourées, notamment en terme de prévention.
L’enquête sanitaire qui découle de l’identification des cas, avec un côté intrusif, pourrait expliquer que beaucoup cachent leur contagion, « cela implique d’évoquer tous les contacts, ce qui peut poser problème dans une société polygame », analysait Dominique Voynet au début de la crise.
Enfin, et nous y reviendrons, la contagion se fait par le lâcher prise, et beaucoup se comportent comme si la période de confinement était terminée. Les allers retours pour les achats de ramadan se multiplient, et un des supermarchés de Kawéni était ce samedi bondés de clients se croisant dans les allées à touche-touche. Quand les autres supermarchés ont mis en place un tri à la porte.
Inutile de se lamenter sur le décompte quotidien des nouveaux cas, le Covid sera aussi ce que nous en ferons, il faut changer de comportement.
Anne Perzo-Lafond