“Je suis scandalisé” grommelle Michel Charpentier, président des Naturalistes en sortant de la salle d’audience du tribunal judiciaire. Quelques secondes plus tôt, deux Petit-Terriens accusés de braconnage de tortues ont été relaxés, malgré de nombreux éléments à charge, mais en vertu d’un énorme vice de procédure.
Tout avait commencé mardi matin : des agents du STM voient monter dans la barge à Dzaoudzi quatre individus porteurs de lourds sacs, desquels émanait une odeur nauséabonde. Les agents préviennent les Affaires maritimes qui préviennent à leur tour gendarmes et agents de la police de l’environnement. La barge qui avait eu le temps de partir est alors rappelée. Elle revient à Dzaoudzi et les passagers sont invités à descendre. Deux des suspects se fondent dans la masse et disparaissent en laissant les sacs dans la barge. Deux autres marchent jusqu’à l’hôpital de Petite Terre où les gendarmes les cueillent. Pendant ce temps, les policiers de l’office de la biodiversité inspectent les sacs. A l’intérieur, 65kg de viande de tortue verte pourrissent. Et pour cause, braconnée la veille plage de Papani, la tortue dépecée et mise en sac a été dissimulée dans un champ toute la nuit avant d’être récupérée à l’aube par les deux complices.
Placés en garde à vue, ces derniers, formellement identifiés par les enquêteurs, affirment n’être que deux, mais reconnaissent l’intégralité des faits… avant de se rétracter.
Le problème, c’est que les deux mis en cause n’ont pas eu droit à un avocat en garde à vue. Une énormité au regard du code de procédure pénale qui a sanctifié ce droit, désormais bien connu. Visiblement, les enquêteurs ont cru qu’à cause du confinement, la permanence du barreau était suspendue. Non, répond Me Andjilani qui affirme avoir été de permanence depuis le vendredi précédent, et n’avoir reçu aucun appel. Il réclame donc logiquement l’annulation de la procédure et la relaxe de ses deux clients.
“Un message fort d’impunité”
Face à lui, plusieurs parties civiles : les Naturalistes avec Michel Charpentier, Oulanga Na Nyamba avec Jane Wagner et Sea SHeperd, représentée par Me Simon et le conseil départemental. Tous réclament une chose : une réponse pénale dissuasive, pour mettre fin au carnage. Depuis le début du confinement, plusieurs dizaines de tortues ont été mises à mort à Papani et à Moya.
Pour Jane Wagner, la condamnation l’année dernière à un an de prison d’un garde tortues du conseil départemental pour braconnage avait mis fin au massacre pendant plusieurs mois sur la plage de Papani. La dissuasion marche donc bien.
Un message repris par le procureur Courroye qui demande 6 mois de prison, trois ferme, et trois aménageables sous forme de travail d’intérêt général.
Des discours insuffisants pour faire pencher la balance face à une procédure viciée. La juge Faure rappelle “le droit fondamental qu’a chacun à être défendu par un avocat à chaque étape de la procédure” et annule l’ensemble des procès verbaux ainsi que la garde à vue. La relaxe est prononcée. “Un message fort d’impunité” adressé aux braconniers déplore Michel Charpentier.
L’affaire n’est toutefois pas forcément complètement enterrée. Dans la procédure, deux des suspects courent toujours, alors qu’ils ont été identifiés sur la barge. En outre, le numéro et le nom d’un acheteur potentiel a été relevé par les enquêteurs. L’occasion peut-être pour le parquet, et pour la première fois, de faire tomber un de ceux sans qui ce trafic ne pourrait exister.
Y.D.