« En gros, tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles”. Si nous commençons par cette citation d’un statisticien de renom, Norman R. Draper, ce n’est pas pour minimiser le modèle épidémiologique présenté par l’ARS Mayotte, mais pour traduire la mise en garde de l’un de ses auteurs Julien Balicchi, Responsable du Service Etudes et Statistiques de l’ARS Mayotte, « cette modélisation est à prendre avec des pincettes », alors que Dominique Voynet renchérissait, « c’est un document non public ».
Difficile donc de présenter ici les courbes et graphiques qu’ils soient alarmants ou pas, sauf à bien les commenter.
Il s’agissait prioritairement pour l’ARS de justifier devant les médias ses décisions, « de vous montrer que les mesures prises ne le sont pas au doigt mouillé ou émanant de professeurs Tournesol ! », plaisantait sa directrice.
Le modèle épidémique que le statisticien a retenu avec son comparse Solym Manou Abi, Maître de conférence au CUFR et IMAG de Montpellier, est celui de la peste de Bombay en 1927. Encourageant alors que certains modèles métropolitains utilisés pour prédire l’évolution de l’épidémie sont critiqués pour être basés sur ceux de la grippe, dont la propagation est différente de celle du Covid-19. « Notre modèle permet de prendre en compte plusieurs facteurs, la population, l’environnement et les caractéristiques de la pathologie, ainsi que les conséquences sanitaires des actions mises en place, confinement, quatorzaine, etc. C’est un outil d’aide à la décision pour les politiques de santé. »
Les kwassas, une porte d’entrée pas significative pour l’ARS
Parmi les paramètres retenus par le modèle de l’ARS Mayotte, la taille de la population, le coefficient de transmission, le temps d’incubation, de guérison, etc. Si certaines données sont fiables, d’autres font l’objet d’un examen parallèle dans une rubrique « biais ». On y trouve notamment le nombre de cas importés, « depuis le 27 mars qui acte à Mayotte la fermeture de l’aéroport, il n’y a plus depuis de cas importés. » Or, les kwassas en provenance d’Anjouan sont une autre porte d’entrée. Pas significative pour Dominique Voynet, qui rapportait les chiffres du préfet : « Depuis la fermeture des frontières comoriennes, 24 kwassas ont été refoulés chez eux*, 7 ont beaché, dont certains occupants ont été interpellés et testés. Il n’y avait aucun cas positif. »
Autre « biais », les cas asymptomatiques jugés de plus en plus nombreux, « il faudrait les traiter à part ».
Ces paramètres sont définis dans le modèle par des valeurs. Par exemple, on note à Mayotte 0,02% de mortalité, ou un nombre moyen de 15 cas contacts.
La courbe des données observées fait apparaître deux plateaux, dont un le 7 avril, « le moment où on a revu notre politique de tests à la hausse ». La classe d’âge la plus touchée est celle des 15-44 ans, 62%, « surreprésentés par rapport à la métropole en raison de co-pathologies », et d’une population plus jeune.
Des facteurs aggravant
On arrive enfin à la modélisation proprement dite, c’est à dire la prévision de l’évolution de la maladie. Comme un feu d’artifice, les courbes partent en trois directions, selon 3 hypothèses. Celle d’un non confinement, « là, c’est l’explosion des cas », celle d’un confinement moyennement respecté, « le nombre de cas augmente du 10 avril au 15 mai », et celle d’un confinement strict. Si cette dernière tendance avait été tenue, « nous serions déjà sortis de l’épidémie », avance Julien Balicchi. Alors que la courbe moyenne nous mène jusqu’à fin juillet, « où nous atteindrons le zéro cas, après un pic fin mai ».
Mais surtout cette projection ne tient pas compte d’un déconfinement, « nous allons le réajuster avec cette hypothèse ». Avec donc un pic certainement plus élevé.
Ces prévisions collaient aux cas observés jusqu’au 7 avril. Après cette date, la courbe des prévisionnistes s’envole, alors que les cas observés stagnaient : « Tous les 10 jours, nous réajustons le modèle, et là, nous sommes de nouveau en cohésion. » Mais toujours sur une hypothèse haute par rapport à la réalité. A la réalité de l’ARS plus exactement : « Nos dernières statistiques sont sous-évaluées, glisse Dominique Voynet, la situation relâchée depuis le début du ramadan nous conduira à observer la nouvelle tendance dans une semaine. »
On voit en effet la réalité rejoindre la fiction au moins sur une courbe parallèle. « Nous avons un décalage de 7 semaines avec la métropole », souligne Dominique Voynet. Oui, mais les autres départements ultramarins aussi, et pourtant, il n’y a pas d’épidémie… Nous avions évoqué comme explication la densité de population élevée à Mayotte.
Arrêtons nous sur cette cause, puisque c’est ce qui explique le redémarrage de l’épidémie à Singapour, la bonne élève de la lutte contre le Covid. La maladie s’est propagée comme une traînée de poudre dans les dortoirs surpeuplés où vivent les travailleurs migrants, souvent dans des conditions insalubres. C’est ce qui se passerait actuellement dans les quartiers de bangas à Mayotte.
La distanciation physique reste donc le plus sûr moyen de lutte, c’est ce message qu’il faut ressasser alors que les rassemblements ont lieu notamment autour du point d’eau et des murengué. Deux données à intégrer lors du réajustement du modèle.
Anne Perzo-Lafond
* Le préfet a assuré aux médias que les forces de sécurité s’assuraient qu’ils aient assez de carburant pour le retour
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