Dimanche 3 mai était la journée mondiale de la liberté de la presse. L’occasion de se pencher sur le classement mondiale édité par l’ONG Reporters sans frontières.
Comme chaque année, ce classement montre une certaine fragilité de la liberté de la presse dans notre région du monde, où les journalistes bénéficient tout de même de certaines garanties, du moins officiellement.
Aux Comores
Arrivant 75e sur 180 pays, c’est l’Union des Comores qui s’en sort le moins bien autour de Mayotte. RSF y déplore un “recul alarmant” de la liberté de la presse. La constitution révisée en 2018 garantit pourtant le libre travail des journalistes mais la réalité est tout autre. RSF regrette “une recrudescence importante et inhabituelle des atteintes à la liberté de la presse, obligeant des journalistes comoriens à sortir du territoire pour leur propre sécurité, et des journalistes étrangers à quitter l’archipel après avoir été arrêtés. La suspension arbitraire de deux journalistes de la chaîne publique sous la pression du gouvernement est venu brouiller l’élan d’ouverture que l’on y avait récemment observé.”
L’archipel a perdu 16 places au classement en un an.
A Madagascar
A l’est, Madagascar s’en tire un peu mieux, avec une 54e place stable par rapport à 2019. Selon RSF, “la précarité” des journalistes de la Grande Île les rend “vulnérables” aux politiciens et hommes d’affaires.
” L’élection présidentielle remportée fin 2018 par l’ex-leader de la transition Andry Rajoelina a confirmé la très forte politisation des médias locaux et notamment de la presse écrite. La quasi-totalité des titres ayant pris parti pour l’un ou l’autre des principaux candidats, l’accès à une information neutre et indépendante a été fortement limité. Des patrons de presse ont ensuite été nommés au gouvernement. Certains événements officiels sont réservés aux médias et aux journalistes proches du pouvoir.”
Aux Seychelles
Au nord, gagnant 6 places au classement, les Seychelles restent limitées par leur besoin de conserver l’image d’un paradis tropical, indispensable à son économie touristique.
” Les autorités cherchent avant tout à protéger l’image de paradis touristique du pays, rendant très difficile le traitement critique des sujets qui y sont liés” regrette RSF.
Toutefois, “les réflexes d’autocensure liés à des décennies de régime unique communiste et d’un contrôle étroit de la presse se dissipent peu à peu, faisant place à une diversité d’opinions et à une plus grande liberté éditoriale pour les journalistes. “
A Maurice
L’île Maurice, 56e au classement, gagne deux places. “Considéré comme l’un des pays africains modèles en matière de démocratie et de respect des droits humains, Maurice demeure un territoire où les journalistes peuvent être condamnés à de la prison ferme pour des publications jugées d’outrage à l’ordre public” rappelle RSF. Comme pour les Seychelles, “s’il n’existe pas de climat hostile envers les médias, certains sujets touchant notamment au tourisme, à la corruption, aux communautés ou à la radicalisation religieuse restent difficiles à traiter, voire tabous.”
En France
Et la France dans tout ça ? Difficile de dresser un portrait spécifique de Mayotte et de La Réunion, l’ONG préférant un classement national. Classée 34e, la France perd deux places, notamment en raison du mouvement des gilets jaunes.
“L’année 2019 a été marquée par une hausse très inquiétante d’attaques et de pressions contre les journalistes. Nombre d’entre eux ont été blessés par les tirs de LBD (lanceurs de balles de défense) ou de gaz lacrymogène des forces de l’ordre, et agressés par des manifestants en colère” critique RSF. “Ils ont souvent été entravés dans leur couverture, empêchés de filmer ou ont vu leur matériel confisqués. Autre forme de pression inquiétante, le nombre croissant de cas d’intimidations judiciaires visant les journalistes d’investigation afin d’identifier leurs sources”, ce qui pourrait marquer un tournant dans l’approche de la liberté de la presse par les autorités.
Mais Mayotte reste un cas d’école sur le territoire national. Si la plupart des régions offrent en plus du service public d’information radio et télé, un ou deux titres de presse écrite et/ou web, Mayotte est riche de quatre quotidiens concurrents, une chaîne de télévision et de radio privée, et deux hebdomadaires dont un créé ces derniers mois, mais dont l’essor papier a été stoppé net par l’épidémie de Covid19.
Le Coronavirus fait tousser la presse mondiale
Cette dernière pourrait d’ailleurs bien rebattre les cartes de la liberté de la presse dans la région et dans le monde. Il a été aussi difficile pour les médias comoriens d’évoquer le coronavirus sur l’archipel alors que les autorités en niaient la circulation, qu’il est compliqué pour les journalistes malgaches d’avoir un regard critique sur l’infusion à l’artémisia, présentée par le gouvernement comme un “remède préventif et curatif” qui s’exporte vers l’Afrique continentale à grand renfort de communication d’Etat. Ailleurs dans le monde des lois “anti-fake news” ont durci la législation relative à la liberté de la presse au nom de la lutte contre le virus, et le manque de connaissances -y compris en France- a conduit les gouvernements à se contredire voire à mentir, semant la défiance parmi la population. Une défiance qui bien souvent ruisselle vers les journalistes, accusés de diffuser des informations qui, de fait, finissent aussi par se contredire.
Le gouvernement fait par ailleurs l’objet d’une plainte en référé du Syndicat national des journalistes au sujet de sa page Web gouvernementale “désintox” qui référence des articles de 5 grands médias nationaux (Libération, Le Monde, 20 Minutes, France Tv Info et AFP Factuel), traitant du coronavirus. Cette volonté de Paris de privilégier certains titres au détriment d’autres médias, et de “choisir” quelles infos sont fiables ou non s’apparente selon le Figaro à la création d’un “ministère de l’information”. Le journal ne figure pas parmi la sélection du gouvernement. Le SNJ condamne de son côté une initiative qui crée “une discrimination nuisible entre les médias” et rappelle que “ce n’est pas au gouvernement de jouer le rôle d’arbitre dans le secteur des médias”
RSF a créé un outil numérique “dont l’objectif est d’évaluer les impacts de la pandémie sur le journalisme et de prodiguer des recommandations pour favoriser le droit à l’information.”
“Nous entrons dans une décennie décisive pour le journalisme, et le coronavirus est un facteur multiplicateur” alerte d’ores et déjà l’ONG.
En espérant que dans son rapport de 2021, RSF ne voit pas 2020 comme l’année où la presse en général aura été contrainte de porter un masque.
Y.D.
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