Ça n’a échappé à personne, le nombre de prélèvements a chuté à 130 par jour environ selon les statistiques de l’ARS Mayotte, perturbant la lisibilité de l’évolution de la maladie. Sa directrice Dominique évoque le long week-end de l’Ascension avec du personnel en moins, et rappelle le déficit en réactifs du laboratoire privé qui n’a pu les recevoir que ce dimanche soir, « il ne pourra pas les dédouaner avant ce mardi », mais affirme aussi que la fin du Ramadan et la préparation des festivités de l’Aïd ont fait passer la santé au second plan, avec une baisse de fréquentation des urgences, « les gens étaient plus présents à Dubaï qu’au CHM ».
Autre raison de cette pause dans la croissance des cas, et premier stigmate de la scission entre le Centre Hospitalier et son ARS, « le CHM aurait décidé de ne pas mobiliser ses équipes de prélèvement (…) alors que le dispositif est financé par l’ARS », expliquait Dominique Voynet, qui atténuait plus tard son propos, « sans doute ces équipes ont-elles été déployées vers d’autres services, mais nous ne validons pas cette décision dont nous n’avons pas été informée. » Des équipes mobiles de dépistage qui répondent pourtant à la géographie médicale de Mayotte, dépourvue à l’extrême nord et sud d’établissements de soins, « le CHM a décidé qu’elles resteraient à demeure dans les cinq centres de référence ». C’est à dire à Mramadoudou, Kahani, Jacaranda (Mamoudzou), Dzoumogne et Dzaoudzi. Une évolution dans le dispositif qui accroit le risque de contamination, « les malades devant se rendre dans les centres de dépistage par leurs propres moyens. »
Une discordance avec la directrice du CHM “simple caillou dans la chaussure”, selon Dominique Voynet, mais qui se rajoute à un autre. Malgré le satisfecit de la préfecture sur le port du masque, qui ne repose pour elle que sur des opérations médiatiques, elle se dit « inquiète du climat général de relâchement » : « Les masques ont été distribués de manière spectaculaire à certains endroits en la présence d’observateurs extérieurs, au lieu de le faire dans les quartiers où il n’y a pas l’eau courante. » Une occasion pour elle d’annoncer la distribution à M’tsapéré de 4.000 masques par l’ARS qui s’est appuyé et sur une association dont les bénévoles étaient formés. Et une réponse à l’action du préfet ce week-end, qui plutôt que d’envoyer les forces de l’ordre contre des habitants qui procédaient aux derniers achats de l’Aïd à Majicavo Dubaï, a préféré distribuer 7.000 masques et du gel hydroalcoolique, histoire de ne pas davantage assombrir une fête déjà plombée par le virus cette année.
Des enseignants et la prison, possibles nouveaux foyers
La réduction du nombre de tests pratiqués a induit un pallier dans les hospitalisations, « allégées aussi par les évasans, 5 la semaine précédente et 5 ce lundi matin, dont deux en civière, grâce à l’avion sanitaire qui permet un aller-retour dans la journée », et une « stabilité à la hausse » en réanimation. Le service en tension, c’est la maternité, « parce qu’il faut pouvoir isoler les personnes atteintes ».
Les 22 nouveaux cas ce lundi sont localisés dans des quartiers précaires, « mais aussi chez des enseignants, pour lesquels nous devons vérifier qu’ils n’exercent pas dans des écoles » pour la rentrée de ce mardi, une déclaration pas anodine à la veille de la réouverture de quelques écoles. Des cas sont en cours d’investigation au centre pénitentiaire de Majicavo.
La réouverture des écoles ce mardi donne le « la » à une semaine de « desserrement des contraintes » : « J’ai signé avec le préfet un courrier au premier ministre proposant un assouplissement du confinement, tout en signalant que l’épidémie n’était pas derrière nous ». Les trois allègements portent sur l’ouverture des écoles, « sous réserve que les 64 pages de guide méthodologique de l’Education nationale soit respectées », l’accès aux plages et au lagon et l’ouverture des lieux de culte. “C’est le premier ministre qui validera”. Les conditions de respect de ces ouvertures sont strictes et édictées par le ministère de la Santé, « je vérifierai et déciderai de la fermeture d’un équipement en cas de non respect ou de traçage de cas positifs ».
Tensions sur les surblouses
Si la directrice de l’ARS explique donc que « l’épidémie n’est pas derrière nous », difficile de savoir ce qui nous attend, « l’ancien modèle fonctionne et confirme un pic début juin, quant au nouveau, il est contesté par les autorités locales. Des spécialistes du réseau MODCOV du CNRS décortiquent actuellement le modèle. » Il se base sur trois valeurs de R0 (nombre de personnes contaminées par un malade), 0,7, 1,5 et 2. « Mais nous n’avons pas assez de tests ces derniers jours, on se donne donc une semaine, notamment pour évaluer l’impact de la fin du Ramadan. »
En terme de capacité et d’hôpital militaire, les dix lits de réanimation supplémentaires sont en cours d’installation, « deux vols arrivent dès le 28 mai, avec 70m3 de moyens humains et matériels. » Les stocks en réactifs pour les tests en curare, sont réapprovisionnés, « mais pas en surblouses pour lesquelles des commandes de 4.800 a été passée au niveau national, et au niveau local auprès de production malgaches et mahoraises. »
Pas de feu vert pour l’instant de l’ARS à la reprise des vols commerciaux, pour les arrivées, « nos équipes réduites ne pourraient tester tout le monde », comme pour les départs, « sur le seul vol du mardi pour ceux qui partent en transit par La Réunion, il n’y a aucun test à Mayotte ni à Paris, ce n’est pas normal. »
Beaucoup de sujets agités pour une accalmie qui reste à confirmer, selon l’autorité sanitaire.
Anne Perzo-Lafond