C’est un peu une page qui se tourne pour Mayotte. La vente des barges hors d’usage n’est pas une nouveauté, mais la médiatisation des enchères a suscité une vague nostalgique. Une cinquantaine de signataires ont même demandé un report pour tenter d’avoir des projets locaux, permettant de valoriser les anciens navires ici, à Mayotte.
Ounrouwati Abdallah, à l’origine de la pétition, a compilé les idées d’internautes.
“Le projet qui, je pense est le plus réaliste serait d’en faire un musée, une structure d’exposition, un lieu culturel qui peut être loué pour des événements, et le laisser dans son contexte de patrimoine culturel mahorais. Ça permet d’obtenir des subventions, d’amortir les coûts avec des entrées payantes, d’autant que Mayotte manque énormément de musées et de vie culturelle. On peut aussi imaginer un coin snack, vente de nourriture ou de produits culturels”.
Si tant d’idées ont fleuri pour garder ces vieilles embarcations rouillées qui ne circulent plus depuis le déploiement des amphidromes Polé et Karihani, c’est que toute personne ayant vécu à Mayotte avant 2016-2017 a des souvenirs à partager sur ces bateaux à une seule entrée, sur lesquels il fallait entrer en marche arrière.
“Barger”, du “rite de passage” à la pause quotidienne
Cet élan nostalgique s’explique selon Ounrouwati Abdallah par “un folklore du quotidien. Il y a cette expression de « barger », c’est tout une culture, quand on est de Petite Terre ou de Grande Terre il y a une mentalité, une sorte de compétition ludique entre les deux îles, j’y ai pas mal réfléchi et je pense que c’est de l’ordre du mystique, ça ne se rationalise pas. C’est émotionnel.”
Elle évoque notamment des “événements historiques conscient ou inconscient qui l’ont érigée au statut d’emblème”. Par exemple, la barge est selon elle “associée à certains événements marquants dans le combat départementaliste qui a permis l’affirmation de l’identité mahoraise : après le déplacement de la capitale de Dzaoudzi vers Moroni, le représentant de l’archipel Hamed Abdallah n’a pas réparé la barge suite à une panne technique, geste ressenti par les mahorais comme une provocation, Zakia Madi chatouilleuse martyr est morte sur le débarcadère lors d’affrontements en 1969” illustre-t-elle. Mais ce sont aussi les souvenirs personnels qui font l’histoire de la barge. Comme tout un chacun, la jeune femme a ses souvenirs sur la barge.
“La première fois que j’ai pris la barge j’avais 13 ou 14 ans, on a l’impression que ça fait partie du paysage, c’est un endroit où toute l’île se croise, les métropolitains, les gens en salouva, les touristes, c’est le passage obligé de Mayotte, ça marque l’arrivée à Mayotte comme le collier de fleur, c’est un rite de passage.” Pour les arrivants mais aussi pour les travailleurs qui l’empruntent au quotidien et ne l’échangeraient pour rien au monde contre un RER. Car la barge, c’est aussi selon des internautes une “minute de pause entre le moment où on prend le taxi ou le scooter, c’est le moment où on apprécie le lever ou le coucher de soleil c’est une parenthèse autour de la journée de travail où on profite des couleurs”.
Un moment de poésie qui n’a pas disparu avec les amphidromes, mais qui explique ce souhait, tardif, de conserver ces vestiges historiques qui flottent depuis 30 ans et qui sont devenus des gouffres financiers.
Direction Madagascar ?
Au lieu de ça, leur avenir devrait se jouer dans les pays voisins, où des règles plus souples leur offriront une deuxième vie.
“Il y a un engouement du côté de Madagascar”, constate Jean-Luc Davatchi, directeur technique du STM. “Localement réarmer ces bateaux est quasiment impossible, ils sont trop anciens pour naviguer sous pavillon français. Mais sous pavillon comorien ou malgache, c’est plus facile”.
En tout donc, une dizaine d’offres ont été déposées. Elles seront étudiées dans la semaine. “Le mieux-disant sera alors prévenu” explique Jean-Luc Davatchi. “Les autres personnes seront informées du montant qui a été choisi, puis on passera dans la partie paiement et enlèvement” poursuit-il. Ce qui mettra un terme à une procédure de vente qui a débuté en 2017.
Quant aux amateurs de néologismes franco-mahorais, qu’ils se rassurent, bon gré mal gré, on continuera tous à “barger”. Même en amphidrome. Et la liaison maritime entre les deux îles ne devrait pas perdre de sitôt sa valeur symbolique. Et de source sure, le métro Pamandzi-Mamoudzou n’est pas pour tout de suite.
Y.D.
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