C’est un “procès inhabituel” s’accordent à dire toutes les parties, qui s’est déroulé ce lundi. Un employé de la préfecture était jugé pour recours habituel à la prostitution de mineures de moins de 15 ans. Si l’homme “ne reconnaît pas les faits” dixit son avocat Me Rahmani, le procès a égrainé pendant près de trois heures les “incohérences” de sa défense, voire selon le procureur Courroye, ses explications “absurdes”.
Un procès inhabituel donc tant par le profil du prévenu, inconnu de la justice, que par le courage de la jeune femme de 18 ans, venue témoigner à la barre, sans demander de huis-clos, de faits sordides vécus quand elle en avait 14.
L’affaire débute en 2016 quand l’adolescente rencontre le fonctionnaire. Comorienne en grande précarité, l’adolescente scolarisée est poussée dans la prostitution par un groupe de filles dirigé par une maquerelle qui les “initie” à grand renfort de viols. Rapidement selon elle, le quinquagénaire devient “un client régulier” qu’elle voit entre “trois fois par jour” et “trois fois par semaine”, pour des relations rémunérées entre 50€ et 150€ “selon le degré de perversion que j’acceptais”. Elle le décrit comme un client qui “payait plus que les autres” mais aussi comme “pervers et malveillant, il demandait des trucs que je trouvais dégueulasses”.
Du côté de la justice, l’enquête démarre en 2016 quand plusieurs collèges de l’île signalent des cas inquiétants de déscolarisation d’adolescentes, soupçonnées de se prostituer. Un énorme travail d’investigation débute alors, mené par la section de recherche de la gendarmerie sous l’égide du parquet.
Le fonctionnaire est identifié par le témoignage de l’adolescente, qui décrit précisément son appartement, le modèle de sa voiture, et dont le téléphone portable est retrouvé caché sous le matelas du mis-en-cause.
Lui, dénonce “un tissu de mensonges”, assure que l’adolescente et ses ami(e)s venaient chez lui “par courtoisie, elles venaient chez moi comme ça, elles devaient voir en moi un homme sympathique” dit l’homme qui se décrit lui-même comme quelqu’un de “généreux”. “Je croyais qu’elle avait 17 ans” ajoute-t-il.
“Je n’arrive pas à comprendre l’intérêt d’une jeune fille de 17 ans à passer dire bonjour à un homme qui en a 59” s’interroge le procureur Courroye.
L’affaire aurait pu être “parole contre parole” mais un faisceau d’indices est venu plomber la défense du prévenu, même si aucun élément précis ne prouve les rapports sexuels détaillés par la victime.
Des mois de filature ont montré que l’homme, chaque soir en quittant la préfecture, prend sa voiture de longues heures et roule dans Mamoudzou, longeant la nationale, freinant brusquement quand une jeune femme se trouve sur le bord de la route, s’arrêtant parfois sans raison apparente pour “regarder autour de lui avant de reprendre le volant” ou faisant jusqu’à 4 fois le tour des ronds-points. Les gendarmes ne sont pas en mesure de dire ce qui s’est passé dans la voiture quand une nuit, l’homme a pris en stop une jeune femme avant de rester, tous feux éteints avec elle dans la voiture pendant 20 minutes dans la zone Nel.
Des insinuations plus que des accusations, qui font sourire le prévenu. “J’aime me promener, je prends des gens en stop et j’aime discuter” explique-t-il en substance, niant fermement tout “rapport sexuel”. “Je n’ai jamais été surpris” avance-t-il pour preuve.
C’est aussi une “coïncidence” selon lui si le numéro de la très jeune prostituée est retrouvée dans son répertoire au nom de “N. Pute”. Un terme “pas du tout péjoratif” selon lui. Un autre numéro de prostituée est retrouvé également. “Je ne sais pas comment ces numéros sont arrivés là il m’est arrivé de prêter mon téléphone” élude l’intéressé.
Ce dernier affirme en tout n’avoir “jamais” eu recours à la prostitution. Une affirmation ébranlée par sa collection de visas pour Madagascar. En deux ans, il s’y est rendu 10 fois, toujours à Majunga où il dit “avoir des amis”. A l’expert psychiatre, il expliquait pourtant y aller pour “faire des photos et rencontrer des filles”.
30 mois de prison
Pour Me Baudry, avocate de la victime, le prévenu “nie l’évidence”. La juriste rappelle qu’un autre client régulier de l’adolescente a été condamné en appel pour les mêmes chefs de prévention, gage de crédibilité de son témoignage. D’autant qu’elle n’a d’abord pas témoigné pour elle-même mais pour “une copine qui avait 12 ans”, avant de confier aux gendarmes son propre parcours.
Pour la défense, Me Rahmani concède l’existence d’un “décor”, mais “il n’y a rien à l’intérieur”. “Une procédure pénale doit reposer sur des faits précis, il n’y a pas de place pour les incohérences”. Reprenant une à une les nombreuses pages du dossier, l’avocat fait un bilan. “Il y a eu 17 rapports de surveillance, la balise a émis pendant 13 jours, ce qui ressort, c’est qu’à aucun moment on ne l’a vu commettre un acte sexuel ou autre chose. Pendant 9 mois on l’a surveillé, si c’était un pervers on aurait quelque chose, là rien.”
Sa demande de relaxer son client n’a toutefois pas été suivie par le tribunal. Alors que le procureur réclamait 2 ans de prison dont un avec sursis probatoire, les trois juges sont allés au delà, déclarant l’homme coupable et le condamnant à 30 mois de prison, dont 12 avec sursis probatoire. En l’absence de mandat de dépôt, il est ressorti libre. Selon Me Rahmani, il devrait faire appel du jugement.
Y.D.
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