Le JDM : Qu’est ce qui explique la montée de la délinquance, faut-il plus de prévention ou de répression ?
Pour éviter des tas d’incompréhensions, l’idée doit être exposée que quand la justice pénale intervient, c’est que le mal est déjà fait. La justice pénale n’a pas à intervenir lorsque les choses vont bien, et que les gens ont eu un comportement conforme au droit.
L’intervention de la justice pénale est déjà le signe de quelque chose qui n’a pas fonctionné. Le fait déclencheur de l’intervention de la justice pénale c’est la commission d’une infraction. Sans cela le procureur ne peut pas aller dans la rue, prendre quelqu’un et le poursuivre, la justice est saisie quand un acte est commis. Ce qui fait mal ce sont ces actes à répétition, ces actes graves qui traumatisent et exaspèrent toute une population jusqu’à ne plus avoir envie de sortir. L’enjeu, c’est ce passage à l’acte. On doit à un moment s’arrêter à ce passage à l’acte, si on ne fait pas une introspection sur ce qui fait que quelqu’un jeune ou moins jeune passe à l’acte, lorsque ce phénomène devient massif, répétitif, de plus en plus grave, il y a lieu de s’interroger.
S’agissant des mineurs, il y a une préoccupation en termes de prévention de la délinquance qui doit animer différents corps publics et privés pour éviter ce passage à l’acte. Lorsqu’un bras a été coupé, un œil crevé, qu’une personne décède, on peut toujours espérer que la justice soit sévère, mais jamais la justice ne remettra un bras ou un œil ou ne fera revivre la personne décédée, ça restera un drame. S’interroger sur ce passage à l’acte, c ‘est s’interroger sur tout ce qui peut être fait. Là s’ouvre, ici à Mayotte, tout le champ de la prévention de la délinquance.
J’ai lu plein de choses depuis les années 2000 qui annoncent cette bombe à retardement, il faut qu’on s’implique. Il y a un rôle considérable des familles. Quand elles ne peuvent pas il faut les accompagner dans l’éducation des enfants. Il y a des tas d’outils, on doit mobiliser les associations, les collectivités. On fait de la prévention en s’occupant de ces jeunes, concrètement, matin midi et soir, massivement : faire de l’ alphabétisation, leur offrir à manger, un espace pour s’abriter, les accompagner dans l’insertion professionnelle, il faut une mobilisation générale. C’est important car si on ne le fait pas, ces jeunes auront besoin de se nourrir, et à côté on leur montre à profusion des images de consommation de gens qui vivent bien, on ne pourra pas contenir la rage et la volonté de s’approprier de gens qui vivent dans le dénuement total.
Problème, si on s’occupe trop des mineurs qualifiés d’étrangers, ça fera sans doute un appel d’air. Mais ceux-là sont là. Soit on s’en occupe soit c’est évident qu’ils viendront manger dans nos maisons. Il faut des gens de terrain ,des éducateurs de rue, des écoles, de l’insertion sociale, sportive, culturelle, on doit s’en occuper.
En disant ça on répond qu’il y a l’immigration qui se poursuit, mais la solution la plus grande se trouve aux Comores et ça ne relève pas des acteurs locaux.
On qualifie souvent la justice de laxiste, quelle réponse apporter quand le mal est fait ?
Une fois que l’acte est commis, on va traiter l’auteur. Une enquête établit qui a fait quoi, puis viennent les poursuites, on traduit les personnes devant des juges qui prononcent des peines. Dans l’opinion, la peine que tout le monde comprend, c’est la prison ferme. La semaine dernière sur 278 places à Majicavo, il y avait 356 détenus, soit 127% d’occupation. Donc il y a bien des incarcérations. On peut monter jusqu’à 150%, pourquoi pas mais on ne va pas tous les enfermer, ou il faut construire d’autres établissements, mais on ne fera pas de Mayotte un département carcéral.
La sanction pénale a plusieurs vocations : permettre à celui qui a commis un acte de ne pas passer à l’acte, l’empêcher de recommencer. La peine, si elle est ferme et adaptée peut être dissuasive mais ce n’est pas toujours vrai. Dans les pays qui pratiquent la peine de mort, ça n’a pas supprimé le crime.
Quand on incarcère quelqu’un à 15 ans pour une durée de 4 ou 5 ans, qu’est ce qui se passe ? Elle sort à 21 ans sans éducation, sans logement, sans travail. La prison devrait servir à préparer l’insertion mais c’est une prison, on ne peut pas lui demander plus que ce qu’elle peut apporter. On ne peut lui demander de rattraper une adolescence en errance.
Il faut s’interroger sur la suite. Une fois qu’on a prononcé la peine, la sortie de prison est une évidence à court et moyen terme, on ne va pas enfermer à perpétuité celui qui a volé un téléphone. La peine doit être synonyme de changement de trajectoire, ou ça va être le passage à un niveau plus élevé car la prison peut aussi être une école du crime.
Il faut donc une sanction mais aussi une sanction qui soit crédible au regard des préoccupations de la population, qui corresponde à une réalité territoriale, même s’il y a un principe d’individualisation de la peine. Il ne faut pas ignorer ce que nos décisions produisent dans l’opinion.
Sur le laxisme, on considère que la seule réponse c’est la prison ferme, c’est un signal de fermeté bien sur mais la décision pénale est individualisée. Quand un juge est en face d’un individu, il va prononcer sa peine en fonction des faits, de l’individu et des circonstances des faits. Il va en sortir des décisions qui peuvent être perçues en décalage avec ce qu’on en attend socialement. Nous ne devons pas nous contenter de rendre des décisions légales mais aussi des décisions crédibles. Nous avons aussi un travail à mener pour rendre crédibles nos décisions. On en rend déjà beaucoup puisque Majicavo est au delà de sa capacité.
Le travail est aussi dans l’explication qu’on apporte, dans la pédagogie sur la peine, l’explication des peines. Personne ne sait que si on est condamné à moins d’un an d’emprisonnement, la peine doit être aménagée. Ceux qui font la loi ne n’explique pas suffisamment, la loi ce sont des compromis politiques mais une fois votée, nous l’appliquons telle qu’elle est.
On parle souvent de réformer l’ordonnance de 45, de réprimer davantage les mineurs, qu’en pensez-vous ?
L’ordonnance de 45, c’est un choix politique, ce n’est pas le débat, on fait avec les outils qu’on a, qui sont les outils qu’on a aujourd’hui.
La nécessité absolue c’est de les prendre en charge pour réduire considérablement ces actes de délinquance.
La prévention ne produit pas de résultats immédiats, c’est du travail de fond, de long terme. Ce qui produit de l’effet dans l’immédiat, c’est l’occupation du terrain matin midi et soir. Mais il faut en avoir les moyens. Pas seulement des policiers et des gendarmes, il faut une police municipale, des associations. Quand on a une bonne occupation du terrain on voit une réduction du nombre de faits.
Il faut l’occuper réellement et dans la durée, on en ressentirait les effet, ça générerait une conscience pour amorcer un travail de fond sur cet accompagnement éducatif, culturel, sportif, pédagogique, social. Sinon il y aura toujours des cycles de violences.
Le tribunal de Mamoudzou compte beaucoup de magistrats sortant d’école, n’a-t-on pas besoin de professionnels avec plus d’expérience ?
Chacun vient avec son parcours et son expérience. Beaucoup de magistrats qui arrivent ici ont commencé par autre chose, ont une expérience de terrain, dans la gendarmerie ou l’administration pénitentiaire par exemple. La jeunesse dans la fonction ne signifie pas forcément l’inexpérience sur le terrain sécuritaire. On a besoin de magistrats d’expérience, bien sûr. Les postes sont là mais les gens ne viennent pas, il n’y a pas de candidat, je n’en ai pas eu en 3 ans et demi au poste de vice procureur. Mais on a des jeunes sortis d’école plein d’enthousiasme et de talent.
Depuis 3/4 ans, le parquet de Mamoudzou s’est attaqué à la délinquance en col blanc, on en est où ?
On a pas mal fait, on a ouvert beaucoup de dossiers. Mais on a un manque d’enquêteurs spécialisés, ça retarde beaucoup les dossiers. La section de recherche est surbookée mais on a quand même sorti des dossiers. Le dossier des marchés publics de Koungou vient en jugement le 21 octobre, c’est une affaire de millions d’euros. Mamoudzou a été jugée, des dossiers sur le conseil départemental sont à l’instruction, des dossiers d’anciens élus ont été renvoyés récemment [devant la justice]. On est limités par la capacité à traiter mais ça se poursuivra. Le procureur général [de Saint-Denis, autorité de tutelle du parquet de Mamoudzou NDLR] est très attaché aux questions d’atteinte à la probité, ce sont des faits graves avec des conséquences sociales et économiques.
Des dossiers sont murs, le dossier du Smiam est en cours, on a un dossier économique et financier sur le SGTM qui va aussi bientôt arriver à l’audience. L’affaire Zaïdani a été renvoyée en mars.
Ça reste un chantier ouvert, car cette délinquance est aussi destructrice.
Propos recueillis par Y.D.
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