Les drapeaux sont en berne, et c’est sous un soleil écrasant que le préfet Jean-François Colombet invite sa centaine d’invités à respecter une minute de silence dans les jardins de la préfecture de Mamoudzou. A ses côtés, le recteur Gilles Halbout naturellement, le président du conseil départemental Soibahadine Ibrahim Ramadani, le grand Cadi, Hamada Mahamoud Sanda, et les représentants des élus nationaux et communaux.
La communauté éducative est massivement représentée, affichant notamment un panneau, « L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence », citation d’Averroes, philosophe, théologien, juriste et médecin musulman du 12ème siècle.
La scène est lourde de sens à Mayotte, terre à 95% musulmane, où est revendiqué « le savoir vivre ensemble » entre communautés, terme utilisé par Anssiffoudine Port Saïd, enseignant du 1er degré et secrétaire départemental adjoint du SNUipp-FSU : « Nous sommes tous touchés par ce drame, mais il faut prendre garde de ne pas stigmatiser la communauté musulmane. L’assassin se réclame de l’islam, mais ce n’est pas l’islam qui dit de décapiter quelqu’un qui en plus faisait son travail d’enseignant. Ici à Mayotte, nous travaillons aux côtés de collègues qui sont multiconfessionnel, il y a un respect mutuel. »
Un travail est à mener malgré tout, si l’on en croit les témoignages qui remontent du Centre universitaire, où quelques étudiants n’ont pas voulu respecter la minute de silence lundi dernier. Comme nous l’avons expliqué, un travail d’éveil des consciences est à mener, mais pour le sénateur Hassani Abdallah, il faut rester vigilant car Mayotte n’est pas épargnée par les extrémistes.
Remplacer la foi traditionnelle par la connaissance du Coran
« S’attaquer à un enseignant, mais où va-t-on ?!, s’exclame-t-il, la difficulté du sujet de la radicalisation, c’est qu’elle se fait en sous-marin, on ne sait pas quand elle va faire une victime. Et ici à Mayotte, il y a des poches. L’islam qui est pratiqué est pollué par des gens qui viennent de l’extérieur, notamment d’Arabie Saoudite. Nous assistons à des retours d’érudits qui viennent nous expliquer que ce que nous faisons n’est pas la bonne façon de pratiquer l’islam. »
Pourtant, Mayotte a su par le passé se défendre de prêches jugés extrémistes par certains, au point de détruire une mosquée à Mtsangamouji. « Dans les villages, au sein des petites communautés, c’est plus facile d’identifier des prêches radicaux, alors que dans les grandes villes comme Mamoudzou, c’est plus compliqué », précise-t-il. La prévention relève du Grand Cadi, pour le sénateur. Mais il évoque aussi une évolution de la société : « Avant, on pouvait se baser sur la tradition transmise par nos anciens, notamment sur les pratiques de l’islam. On le vivait comme faisant partie de notre culture. Mais on leur laisse de moins en moins de place dans les familles, les jeunes sont perdus. Il faut donc palier par une meilleure connaissance du Coran si on veut éviter les emprises par les théories radicales, notamment, par l’apprentissage de l’arabe, seul moyen de lire le Coran dans le texte. »
L’enseignement de l’arabe s’est justement considérablement étendu, nous explique Gilles Halbout, notamment dans le cadre de la multiplication des établissements scolaires, « en 2016, on comptait 19 établissements proposant la langue, 13 collèges et 6 lycées, contre 26 actuellement, 18 collèges et 8 lycées. Pour autant, l’arabe n’est pas proposé en spécialité langue et culture étrangère au Bac. »
Sur un territoire où l’islam majoritairement sunnite est modéré, un travail reste donc malgré tout à mener, « Mayotte n’est pas à l’abri », conclut Anssiffoudine Port Saïd.
Anne Perzo-Lafond
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