Le directeur du cabinet d’études Des Clics, axée sur l’insertion sur le plan national, a quelques idées pour nous aider à rechausser les bonnes lunettes : « Mon action est centrée sur la méthode à utiliser pour sortir de la logique de comptoir pour intégrer la logique de projets. Les actions qui sont mises en place pour occuper les jeunes sont calquées sur la métropole, alors qu’il faudrait partir de l’existant, ce territoire a toutes les réponses en lui-même. »
Rachid Djebari invite à prendre du recul et à se poser deux questions, « quels sont les enjeux de la jeunesse à Mayotte ? » et « pourquoi elle intègre l’université de la rue ? »
Pour répondre à la première, il suffit de regarder le profil des jeunes, « beaucoup sont peu ou pas qualifiés, au chômage », et en face, les besoins, « nous avons beaucoup de services non satisfaits à Mayotte. » Pris sous cet angle, la construction de stades ou de MJC pour les occuper ressemble à une solution périphérique, non essentielle. « Il faut territorialiser les acteurs à l’échelon communal. Par exemple, le Centre communal d’Action sociale de Chirongui a réactivé la citoyenneté active. »
Repasser son linge propre en famille
Des exemples, il en a plein la tête, « la Ligue de foot avait organisé le Championnat des quartiers, qui permettaient à 1.000 voire 2.000 jeunes de se côtoyer le week-end, la Course de pneus va dans ce sens. » Et notre journal lui en fournit un, avec le centre socioculturel LMIDM de Cathy Berthelot à Trévani, qui a incité les jeunes en errance à récupérer du bois de palette pour créer des meubles. Saïd leur porte-parole nous avait rapporté l’objectif, « on a créé le besoin », avec un succès fou lors du marché paysan de Coconi. Pour Rachi Djebari, c’est le modèle à garder en tête : « Il colle à cette logique de projets et non de comptoir que je promeus. » Il rapporte aussitôt une de ses expériences fortes à La Réunion.
« Dans le quartier pauvre de Piton Saint-Leu à La Réunion, le proviseur du lycée ne savait plus comment gérer les élèves perturbateurs, malgré les conseils de discipline qui s’enchainaient. Le jeune exclu pour quelques jours, en profitait pour sévir à l’extérieur. Nous avons regardé quels besoins étaient exprimés sur ce territoire. Une maison de retraite avait besoin pour ses pensionnaires, d’une bonne repasseuse. Une compétence assez répandue chez les mères de ces jeunes. Ce sont elles qui ont fourni ce service, et les jeunes en exclusion, allaient chercher le linge et le rapportaient à la maison de retraite. La blanchisserie est née. » Une action qui rend visible la mise au ban du jeune, « confronté aux retraités qui l’interrogeaient. »
Il préconise de se rapprocher des mairies, « elles auront chacune des besoins spécifiques à satisfaire », un peu sur le mode de la plateforme d’ingénierie de la préfecture. « On adapte la machine aux problématiques locales, et non l’inverse. C’est pour avoir fait le contraire que les fonds repartent. Il faut réactiver les petites associations, les acteurs locaux qui fédèrent les habitants. »
Le remboursement du jeune à la société doit être visible
Pour les plus costauds, ceux qu’il gratifie d’un « master 2 en gangsterologie », la réponse demande « une rigueur absolue. » Avec une trilogie, petite association-police municipale-responsable religieux « à réactiver ». Il invite à « occuper le terrain des gangs pour passer à l’opérationnel avec eux. « Il ne faut pas échanger avec le jeune délinquant mais le mettre au travail par ces acteurs de terrain et en s’appuyant sur leur famille, la maman, l’oncle ou la tante, qui ne demandent qu’une chose, qu’on les aide à les gérer. Il faut l’isoler et travailler avec la famille, sans quoi, il fait éclater la cellule familiale ou ce qu’il en reste. Et toujours en individualisant la réponse qu’on lui apporte. »
Mais que ce soit sous cette forme, ou après décision de justice lors de Travaux d’Intérêt Général (TIG), l’action doit être visible, « le travail du jeune remboursant la société par son action doit se voir, et que ce ne soit pas de l’occupationnel dans un coin de la mairie. »
Rachid Djerari a déjà entamé des démarches, « nous travaillons avec 30 associations, et en parallèle nous montons une couveuse qui financera les outils, et dès qu’elles deviennent autonomes en matière de recettes, nous les externalisons. » Les applications concrètes ne manquent pas : une zone de stockage de containers frigo qu’il monte à Kawéni, une filière de récupération des déchets du BTP pour les valoriser, « on travaille sur des secteurs où il n’y a pas besoin de qualification. »
Un changement de bout de lorgnette donc, qui invite à partir des opportunités en local, pour dégager des financements orientés jusqu’à présent sur l’occupationnel. « Et ça ne coute pas plus cher, c’est un investissement pour la commune qui pourrait par exemple acheter du mobilier à base de palettes pour reprendre votre exemple, et c’est un engagement vers la paix sociale. On investit sur la jeunesse. »
Anne Perzo-Lafond
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