« Ce sont des bandes de jeunes qui ont fait ça mais derrière eux, ce sont des adultes qui tirent les ficelles », assure Ali. Pour cet habitant de La Vigie qui témoigne sous anonymat de peur des représailles, « ce règlement de compte risque de ne pas en rester là. Que ce soit dans les écoles [l’une des victimes était un collégien] ou dans la rue, ces personnes vont se recroiser et je sais que ce sont des communautés à la rancoeur tenace », analyse-t-il encore. Pour lui, le lien entre les trois morts et la tentative de meurtre ne fait aucun doute, et il s’agirait donc là de vengeances en série. Une thèse « qui n’est pas écartée », par les enquêteurs explique de son côté le procureur de la République. « Mais toute la difficulté est que l’on n’a aujourd’hui aucune certitude, aucun lien n’est établi de manière certaine. Je reste donc prudent, c’est une piste mais elle n’est pas avérée », poursuit-il.
« Personne ne va parler »
Et sur place, si « tous les moyens de la section de recherche de Pamandzi » sont sur ces affaires, la tâche est ardue. « On a un contexte qui est forcément difficile et amplifié par des discours récurrents et infondés sur une pseudo inefficacité de l’institution judiciaire et qui fait qu’un certain nombre de personnes ne vont pas collaborer facilement avec les services d’enquête », admet ainsi le magistrat. Pour Ali, le mot est clair, c’est l’omerta. « Personne ne va pas parler de peur de représailles, c’est très compliqué. C’est une zone de non-droit… Qui voudra parler sans être absolument certain d’être protégé en retour ? » « Ce sera progressif, rétorque le procureur, derrière les critiques récurrentes la population se rend souvent compte de l’efficience réelle de la justice et lui apporte son concours. Mais cela prend malheureusement du temps, il faudrait que ce concours soit plus rapide et plus spontané ».
L’enquête pourrait par ailleurs être rendue plus complexe par le nombre de mis en cause potentiel. « La justice est présente, efficace mais travaille avec le temps judiciaire incompressible. Même si l’on oeuvre dans l’urgence, ce temps judiciaire est évident car on ne peut pas arrêter trois groupes de 10 à 15 personnes du jour au lendemain alors qu’on ne connaît pas leur identité et que les crimes se succèdent dans un temps bref », livre Yann Le Bris. « C’est très difficile de savoir qui vit où, même moi qui habite La Vigie je découvre encore des secteurs d’habitation. Alors pour les gendarmes qui n’y vont jamais c’est forcément encore plus compliqué », ajoute Ali, persuadé que derrière les différents profils des assassins (tous ne seraient pas des mineurs isolés et déscolarisés selon Ali), un point commun les lie : « ils sont instrumentalisés par leur communauté, par les adultes ». À l’appui de sa thèse, « les jeunes » seraient fournis en armes fabriquées à l’intérieur même du quartier. « Et on a vu des mamans leur préparer à manger pour qu’ils prennent des forces », soutient-il, persuadé que les vengeances n’en resteront pas là.
Restaurer la confiance en la justice
« Ça va peut-être rester calme pendant quelques jours car il y a des forces de l’ordre sur place mais après ? », questionne-t-il. D’où la nécessité de régler au plus vite ces affaires. « Au lieu d’écouter ceux qui vous disent d’aller se venger, au lieu de devenir vous-même des criminels, collaborez avec l’institution judiciaire, collaborez avec les gendarmes. Car plus vite les informations seront réunies, plus vite on pourra interpeller ceux qui ont commis ces atrocités et revivre de manière paisible », presse ainsi Yann Le Bris, déterminé à retrouver la confiance des habitants à travers une politique de « fermeté et de rapidité », mais aussi en s’engageant davantage sur le terrain, à travers les Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
En communiquant plus, aussi, sur les taux de résolution d’affaires « similaires ou supérieurs à ceux de la métropole », le taux d’incarcération rendant « Majikavo occupée à 120% quand partout ailleurs ce chiffre est en baisse ». Ou encore en développant en partenariat avec la Protection judiciaire de la jeunesse de nouvelles structures pour les mineurs ayant à faire avec la justice. Plusieurs d’entre elles devraient naître en 2021 dévoile-t-il à ce titre.
Mais Ali, lui, attend des « mesures radicales ». « On ne peut plus attendre de recevoir le coup pour avoir des réponses ponctuelles. Là, on a atteint un point de non-retour qui doit amener des vrais changements ».
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