Si l’ancien conseiller départemental de Bandraboua et chroniqueur régulier du JDM, Issihaka Abdillah utilise cette métaphore « covidienne » de distanciation du ministre des outre-mer, c’est pour dénoncer le désintérêt du gouvernement et le laxisme dont il fait preuve dans la gestion de la sécurité publique.
Lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale ce mardi, le député LR Didier Quentin interpellait le premier ministre au nom de son confrère Mansour Kamardine sur la situation à Mayotte. Très critique, en reprenant les points forts du premier courrier des élus sur la détérioration de la situation avec un taux d’homicides* en augmentation, et « sans réaction à la hauteur, si ce n’est l’envoi de deux pelotons de gendarmerie, soit 40 militaires ».
Depuis cette annonce tweetée par Sébastien Lecornu, des voix se font entendre localement pour dénoncer des renforts déjà prévus de longue date, voire un simple remplacement de mobiles sur le départ. Un point que devra éclaircir le ministre des outre-mer.
Pour avoir trop différé leurs arrivées, les ministres annoncés, de l’Intérieur, de la Justice et des outre-mer, se retrouvent dans une situation inconfortable, avec une situation qui empire de jour en jour. Ce qui était vu depuis Paris comme un sentiment d’insécurité en 2011, s’était traduit par un sentiment d’abandon chez la population. Depuis, les sentiments se sont envolés, nous en sommes bien à l’insécurité et à l’abandon. Car si la crise sanitaire est invoquée pour expliquer les reports de visites ministérielles, on ne sait pas comment traduire autrement le tweet du ministre des outre-mer et son absence de communication en temps réel après les trois meurtres de Petite Terre.
« L’Etat fait beaucoup »
On a le sentiment légitime que depuis Paris les violences ultramarines sont intrinsèques à ces territoires, et que Mayotte n’y déroge pas. Mais peut-on banaliser le fait que les habitants n’osent plus sortir le soir, et voient quasiment le couvre-feu à 18h comme une planche de salut, un bouclier anti-agression. Car le soir, ce sont des jeunes en errance qui occupent le terrain.
A Mayotte, l’insécurité est plus crainte que le Covid, et toute mesure qui ne s’y rapporte pas est actuellement inaudible. Ironie de la situation, les mesures prises par le préfet pour parer l’intrusion du variant sud-africain sur le territoire, en moyens nautiques et aériens, sont ceux que demande de longue date la population contre les arrivées clandestines de kwassa. Difficile de comprendre qu’ils lui soient accordés dans un cas mais pas dans l’autre. Le préfet, qui a pris la mesure du défi de la lutte contre l’immigration clandestine, ne peut donc pas tout, et tout seul. Il a besoin d’un relais pour décliner des annonces, non pas tweetées, mais énoncées de vive voix sur le territoire.
Notons une avancée ce mercredi, puisque Sébastien Lecornu s’est enfin adressé aux Mahorais sur Mayotte la 1ère. Evoquant le « meurtre de trois Comoriens » de ce week-end, il souligne qu’avec « prés d’un tiers de la population en situation irrégulière, rien ne pourra changer si l’immigration n’est pas maitrisée. Les tensions communautaires (envers les Comoriens, ndlr), les pressions sur l’accès à l’école, la difficile gestion de la ressource en eau, en sont la conséquence directe. »
Mais faute de déplacement et de déclaration en « présentiel » pour l’instant, une interview sur un Journal Télévisé local en « distanciel », pourrait être une solution. Car les affirmations du type « l’Etat n’a jamais mis autant de moyens pour ce territoire », ne sont plus audibles dès lors que le résultat n’est pas au rendez-vous.
La justice pénale des mineurs au cœur des attentes
Dans sa réponse au député LR, Gérald Darmanin évoquait lui-même le déficit en explications, « la question de la départementalisation aurait due être accompagnée d’un travail plus important en terme de sécurité, mais aussi sur l’équivalent des règles que nous connaissons sur le territoire national ». On imagine qu’il fait sans doute référence à la tentation de se faire justice soi-même, quand celle-ci n’est que la réponse d’une population désemparée qui souhaite voir revenir la paix sociale. Mais pour y arriver, il faut que les têtes pensantes se penchent avec empathie sur ce territoire.
Les violences mortelles de Petite Terre qu’elles soient internes à la communauté comorienne ou pas, ne sont qu’un degré supplémentaire vers l’insupportable insécurité vécue par la population. Qui cherche malgré tout des solutions pacifiques, en ayant adhéré aux Assises sur la sécurité, qui on l’espère porteront leurs fruits, ou à l’Observatoire des violences. Mais en l’occurrence, il faut trouver des solutions urgentes de sécurisation des déplacements de personnes, ce qui a incité les élus de l’île à demander le placement de l’île en état d’urgence non pas sanitaire, mais sécuritaire. Un cri de détresse à l’intention du gouvernement, notamment sur la prise en compte des spécificités locales lors de la réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs.
« Le premier courrier de Sébastien Lecornu (où il parlait de différenciation et de consultation, ndlr) aux élus de Mayotte a été maladroit, analyse Issihaka Abdillah, il aurait du privilégier un discours sur place, ce qui aurait donné lieu à un débat. Au lieu de quoi, le ministre nous a mis en distanciation républicaine ».
Le ministre du Budget annonçait venir à Mayotte avec Sébastien Lecornu, « dès que les conditions sanitaires le permettront. » D’ici là, d’autres moyens de communication existent… avec ou sans les like à la clef.
Anne Perzo-Lafond
*Le courrier des élus place Mayotte en tête des territoires en matière d’homicides. Selon les statistiques de la Sécurité Intérieure, en 2017-2019, le taux d’homicides est de 4,6 à Mayotte contre 1,3 en métropole, mais de 7,2 en Guadeloupe et 10,5 en Guyane. Des chiffres qu’il faudra réactualiser avec les derniers évènements
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