Malgré la marée montante actuelle dans les retenues collinaires, l’eau manque dans le Centre et le Sud. Chaque semaine, les habitants découvrent le planning de coupures qui leur met les robinets à sec pendant que des pluies diluviennes touchent l’île. Le fatalisme frôle la résignation. Car la solution dépend d’investissements à venir dans les capacités de stockages. A inscrire au budget 2021, nous avait expliqué le DGS du Syndicat Mixte d’Eau et d’Assainissement de Mayotte (SIEAM), Ibrahim Aboubacar : « Ce sont les réservoirs de tête de Ongoujou et Chiconi qui posent problème. Ils desservent le Sud de Mayotte. Ces travaux sont inscrits dans le Schéma directeur sur l’eau en cours de budgétisation pour l’année 2021. Ils ne sont pas encore financés ».
En Guadeloupe, les habitants n’ont pas eu la patience d’attendre. Le Comite des usagers de l’eau avec le soutien du CREFOM local (Conseil Représentatif des Français d’Outre-mer) a déposé plainte sur la base de la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, décrétant que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental ». En France, le Code de l’Environnement stipule que, « chaque personne, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
A Mayotte, Ali Madi s’est depuis toujours érigé en défenseur des usagers. La solution existe selon le président de la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE), et elle est inscrite dans la loi : « Elle oblige les syndicats comme le SMEAM pour l’eau ou le SIDEVAM pour les déchets à avoir en interne des Commissions représentant les usagers. C’est par là que nous pouvons avoir un droit de regard. » Faute de l’avoir mis en place, et victime d’une mauvaise gouvernance, le SMIAM (en charge des établissements scolaires et des infrastructures sportives) est mort, pas tout à fait enterré. Les mots « comportements erratiques » ne sont pas les moindres d’une critique au vitriol d’un Rapport interministériel-constructions-scolaires-mayotte de 2013 qui dévoile rien que dans sa synthèse, l’origine des retards de construction des écoles et donc de l’Education à Mayotte.
Des vieux de la vieille dans l’ombre
L’article L. 1413-1 du code général des collectivités territoriales impose en effet aux communes de plus de 10.000 habitants, aux EPCI de plus de 50.000 habitants et aux syndicats mixtes comprenant au moins une commune de plus de 10.000 habitants de constituer des Commission Consultatives de Services Publics Locaux (CCSPL). Les deux syndicats suscités remplissent ces conditions, « et pourtant, aucun comité d’usagers n’en fait partie ».
Elles permettent aux usagers d’obtenir des informations sur le fonctionnement effectif des services publics, “d’être consultés sur certaines mesures relatives à leur organisation et émettre toute proposition utile en vue des adaptations qui pourraient apparaître nécessaires” (Sénat). Ses pouvoirs sont étendus jusqu’à l’examen des rapports annuels du délégataire de service public, du prix et de la qualité du service public d’eau potable, de l’assainissement, etc. Voilà qui aurait permis d’encadrer les excès dénoncés notamment dans le dernier rapport de la Chambre des comptes sur le SIDEVAM.
S’il n’est pas trop tard pour bien faire, et la nouvelle équipe du SIDEVAM l’assure, impossible d’entrer par la grande porte avec des élus plus que récalcitrants, constate Ali Madi qui dénonce une solidarité des élus au-delà de toute éthique : « Quand nous avons fait nos propositions sur les solutions à la crise de l’eau, qui nous a reçu ? Et sur l’encadrement environnemental nécessaire à mettre en place pour réaliser la piste longue ? Seulement 3 élus, dont l’un nous a prié de nous taire. Il faut être réaliste, les élus passent leur temps à dire que les associations environnementales sont nulles. D’autre part, et c’est plus grave, autoriser des comité d’usagers à entrer dans ces syndicats c’est prendre le risque que de vieux dossiers soient déterrés, remontant même avant Maoulida Soula pour le syndicat des eaux. Certains anciens veulent toujours revenir au pouvoir et bloquent tout. On n’avance pas. Par contre, au plus fort de la crise de l’eau, ils avaient retrouvé mon numéro de téléphone pour savoir s’il allait pleuvoir », indique celui qui est aussi directeur adjoint de l’antenne locale de Météo France. « Seuls les jeunes maires intègres pourraient faire quelque chose en imposant ces comités. »
Mini-retenues collinaires et récupération des eaux de pluies
Même sur les période de gestion sans gros dysfonctionnements dans l’histoire du SMEAM, ex-SIEAM, la gestion laissait à désirer, avec de possibles petits arrangements entre amis « beaucoup d’études ont été menées pour la 3ème retenue collinaire, elles ont servi à quoi ? »
Contrairement à de nombreuses associations environnementales, Ali Madi ne veut pas bloquer des projets pour préserver quelques langoustes, mais bien rendre l’ensemble compatible pour aller dans le sens de la structuration harmonieuse de l’île.
Des projets, il en a à la pelle, même à la tractopelle, qui permettraient de résoudre une partie de l’approvisionnement en eau : « Puisque la 3ème retenue collinaire n’émerge pas, construisons plusieurs petites retenues pour les agriculteurs, pour le BTP, cela évitera qu’ils utilisent de l’eau potable pour leurs usages, alors que l’eau de pluie suffit. » Dans le même esprit, il dit son incompréhension sur l’absence de récupération des eaux de toitures à Mayotte : « C’est une solution immédiate qui permet de préserver l’eau potable. Beaucoup de territoires l’encouragent, pas nous. »
La loi autorise l’utilisation de l’eau de pluie pour les usages non alimentaires (WC, nettoyage des sols ou du linge). Si les équipements de récupération d’eau de pluie ne bénéficient plus de crédit d’impôt, et d’aucune aide nationale, des collectivités locales l’encouragent. C’est le cas de la Région Guadeloupe qui subventionne par exemple jusqu’à 80 % l’achat d’un récupérateur d’eau de pluie.
Il réclame aussi davantage de forages, « dans le sud, vers Coconi ou Bandrélé, ils ne veulent pas en faire parce que les nappes souterraines sont polluées. Mais pourquoi pas les dédier au BTP ? Les autorités pensent toujours qu’à Mayotte, les habitants ne sauront pas gérer, ou que ces stockages sont des vecteurs de prolifération de moustiques, mais débattons-en, plutôt que de le glisser sous le tapis. On ne discute jamais à Mayotte, on impose. » Sûrement pour pallier le silence assourdissant des élus en charge de ces syndicats sur ces questions.
Anne Perzo-Lafond
Comments are closed.