Inauguré en 2017, le lycée de Mamoudzou Nord faisait régulièrement l’objet de confusion entre la Cité du Nord ou le lycée de Mamoudzou qui allait devenir Bamana. Ce samedi, il ne s’agissait pas d’inaugurer, mais de baptiser celui qui est définitivement devenu Lycée des Lumières. Un nom qui fait écho dans l’actualité au contexte turbulent de lancement des états généraux de la laïcité.
Ce nom de baptême, du grec baptisma, revêt un triple sens pour le proviseur Patrick Loval. Outre le choix d’un nom propre qui ne souffrirait plus la confusion, il est d’abord la personnification par ses enseignements de cinéma et d’audiovisuel, de grands artistes et cinéastes, « et avant eux les frères Lumière », mais surtout, de témoin de « la culture, du savoir, de l’engagement et de la citoyenneté, des idées chères à Rousseau ou Montesquieu, des penseurs du XVIIIème siècle, celui des Lumières ».
De cette essence, Patrick Loval a voulu traduire une devise, Fierté, Excellence, Respect, « parce que nous avons de l’ambition pour nos élèves, et que le respect est une notion galvaudée, revenons à l’estime de soi et celui de l’institution », énonçait-il face à ses lycéens, en présence des deux sénateurs de Mayotte, du recteur et de la présidente du Medef.
Tous des Sisyphe en puissance ?
Le mouvement des Lumières tire son nom de la volonté des philosophes européens du XVIIIème siècle « de combattre les ténèbres de l’ignorance par la diffusion du savoir », tel que le définit Larousse. On oppose souvent les Lumières à la religion, en ce sens que les philosophes privilégiaient la raison, mais il s’agissait surtout de combattre l’obscurantisme, l’absolutisme, l’intolérance, l’ignorance, etc. Des sujets sur lesquels on attendait forcément le recteur Gilles Halbout.
Juste avant lui, le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, mettait en évidence l’école comme « une des institutions les plus importantes de la République », « sans elle la devise liberté, égalité et fraternité, en rajoutant la laïcité, ne serait qu’une utopie ». Et saisissait une citation de Camus pour l’adapter au contexte : « ‘La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent’, que je complèterai sur l’appel à la responsabilité individuelle de chacun avant la responsabilité collective ». Un clin d’œil à son arrêté sur la parentalité, qui impose l’implication de chacun.
Inviter l’écrivain humaniste Albert Camus, c’était une entrée en matière toute trouvée pour Gilles Halbout, qui rebondissait en citant un des ses essai, « Le Mythe de Sisyphe ». Pour avoir osé défier les dieux, Sisyphe fut condamné à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet. « L’écrivain émet l’hypothèse que cette lutte pour atteindre le sommet suffit à remplir son cœur d’homme, et qu’ ‘il faut imaginer Sisyphe heureux’ ». Des deux discours, du maire et du recteur, chacun en remplira sa coupe pour aborder un quotidien social difficile.
La raison pas toujours bonne conseillère
Mais ce n’était pas terminé, un tel nom en héritage mérite qu’on fouille encore. Ce fut Emmanuel Kant (1784) cité encore par Gilles Halbout, « en réponse à la question ‘Qu’est ce que les Lumières ?’, il invitait chacun à oser se servir de son propre entendement », ou l’ouvrage de Corinne Pelluchon, ‘Les Lumières à l’âge du vivant’, qui actualise le concept, « les piliers sont la raison qui doit dépasser la passion, l’esprit de liberté qui invite chaque homme et chaque femme à choisir son destin, l’égalité qui luttait contre la hiérarchie imposée notamment par les églises, et l’universalisme, les Lumières s’appliquent à tous. L’auteur nous met en garde contre la disparition de ces valeurs. » L’ennemi, ce ne sont plus « les églises », mais, « venant de l’extérieur, les tyrannies, et de l’intérieur, l’égoïsme et l’individualisme. » S’il était question de « raison » dans tous les discours sur les Lumières, la réduire au raisonnement scientifique serait une erreur, dans la bouche de Gilles Halbout, « il s’agit d’appréhender le monde dans lequel nous sommes dans toute sa complexité. Trop de raison tue la raison. »
Des discours qui introduisaient un cheminement de toutes les innovations initiées par les enseignants du lycée. Tout d’abord, le magasin pédagogique, Lumisport, un commerce de vêtements de sport reconstitué pour mettre en situation les élèves des filières professionnelles et BTS, avec des partenaires qui jouent le jeu pour avoir livré deux palettes de chaussures de sport et de tee-shirts. Une librairie pédagogique a d’ailleurs été suggérée par le DAC du rectorat. Trois ateliers mini-entreprises ensuite, de fabrication de gel hydroalcoolique, ou de confection de chaussures à partir de pneus ou encore de la dynamique section européenne. Ajoutant du rythme à la visite, un spectacle de hip-hop était proposé à l’assemblée.
Beaucoup d’émotion aussi lors du dévoilement de la plaque de l’amphithéâtre par le papa de l’humoriste Kham’s, il portera son nom “Hassani Kamardine”, ou du CDI, « Rahadati Combo », en hommage à une professeur décédée à laquelle était rendu un vibrant hommage.
Plus qu’une touche finale et un symbole, l’ouverture du lycée aux jeunes de ce quartier de Kawéni, invités ce samedi pour la 2ème après-midi récréative, illustre elle aussi le nom du lycée : tables de ping-pong, jeux d’échec, foot ou basket, ils investissent les lieux, encadrés par les associations du quartier dont ABK.
Le lycée devient un lieu de rencontre entre jeunes scolarisés ou non, comme un phare dans leur quotidien.
Anne Perzo-Lafond
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