Il est 22h30. Mélanie (prénom d’emprunt) reçoit un message sur son téléphone personnel. Un des adolescents que suit l’éducatrice souhaite échanger avec elle. “On n’a pas de téléphone professionnel, du coup on doit utiliser nos téléphones personnels et des jeunes nous appellent à toute heure” déplore la jeune femme, contractuelle au sein de la protection judiciaire de la jeunesse.
Le manque de moyens matériels n’est qu’une des doléances exprimées par les syndicats CGT, CFDT et Unsa de la PJJ qui se sont réunis en intersyndicale pour discuter des difficultés rencontrées par les agents.
Parmi ces problèmes remontés, figurent des constats d’ordre structurel.
“Un éducateur suit 25 jeunes en même temps”, note François-Alexandre Genolhac, de la CGT. “Cela paraît beaucoup, surtout dans des conditions qui ne sont pas les mêmes qu’en métropole. En métropole si vous convoquez un jeune par courrier, le courrier arrive et le jeune se présente. Ici les agents doivent faire des visites à domicile pour trouver les familles, le temps de prise en charge est doublé.” Des visites lors desquelles il est arrivé “de manière sporadique qu’il y ait des agressions”.
“On se retrouve avec une spécificité de Mayotte qui n’est pas prise en compte dans les quotas demandés par éducateur” regrette le syndicaliste.
Par ailleurs, les éducateurs de la PJJ se voient confier des missions d’investigation qui relèvent partout ailleurs de l’Aide sociale à l’enfance, note aussi la CGT, pour qui ces missions en plus conduisent à un accompagnement en mode dégradé.
Ensuite vient l’attractivité, qui manque, et qui plombe tout le service. En effet, contrairement à l’Education nationale par exemple, la PJJ est un service public où les contractuels ne perçoivent pas l’indexation de 40%. Seule une prime annuelle correspondant à quelque 20% du salaire est perçue nous indique un agent.
Si la question salariale n’est qu’une des problématiques, il en résulte des conséquences en cascades.
D’abord, chez les contractuels qui représentent près de 70% du service, il y a “un turn over qui pénalise en priorité les mineurs pris en charge” déplore Sheriff Pereira, délégué CFDT.
Difficile en effet d’assurer un suivi au long cours d’un jeune quand des éducateurs partent “au bout de 3, 4 ou 5 mois” abonde François Alexandre Genolhac, de la CGT.
“Si on veut un service public de qualité à Mayotte, il faut des agents bien traités pour que ça puisse fonctionner”, poursuit ce dernier qui insiste sur la nécessité “d’une certaine pérennité car on a un énorme turn over et, tous les moyens ne sont pas donnés pour que les agents aient envie de s’investir à Mayotte”.
Un service public concurrencé par les autres sur le marché de l’emploi
Son collègue Jean-Christophe Bermond abonde. “Il y a à Mayotte très peu de diplômes dans le domaine du social alors que les besoins sont énormes, plein de structures dont la PJJ ont besoin de techniciens du social. Les personnes formées ne couvrent pas les besoins. (…) Il faut que tout le monde puisse accéder à cette base de 40%. C’est aussi le signe que l’administration investit dans des personnes qui ont envie de travailler et de rester. On voudrait que l’administration entende qu’on est en concurrence avec toutes les autres administrations comme l’Education nationale. Il n’y a aucune raison que notre administration ne soit pas aussi volontariste.”
Il n’est en effet pas rare selon lui, que les contractuels de la PJJ partent chercher l’herbe plus verte dans l’Education nationale ou dans des associations qui paradoxalement peuvent être subventionnées par la PJJ mais versent, elles, les 40% à leurs salariés.
Du coup, le personnel rêverait de titularisations, gage de stabilité et de meilleurs salaires, mais là aussi il y a un loup. “Au delà de 3 ans, un contractuel doit partir ou passer par voie de concours, ce qui implique de quitter Mayotte pendant 2 ans pour se former, ce n’est pas rien quand on a un projet de vie sur le territoire” poursuit le CGTiste. “Avoir une formation sur le territoire avec un concours local pour avoir des éducateurs titulaires est prévu” salue-t-il toutefois, tout en regrettant la “lenteur administrative” de cette évolution attendue.
Conséquence de ces difficultés liées aux ressources humaines, c’est toute la chaîne de prise en charge qui est pénalisée, et avec elle, son efficacité sur la lutte contre la récidive des mineurs.
“On manque clairement d’effectifs humains pour faire face à la demande des magistrats, cela génère des retards, on ne peut pas faire plus que ce qui est possible, du coup on ne remplit pas notre mission première qui est d’éviter la récidive. Avec un jeune qui n’est pas suivi le risque est évident, et on se retrouve avec des jeunes qui se retrouvent de nouveau devant le magistrat alors qu’ils n’ont pas encore été pris en charge depuis la fois précédente” déplore encore François-Alexandre Genolhac.
Du coup, complète Jean-Christophe Bermond, il faut faire des choix difficiles. “Des jeunes ne sont pas pris en charge. Il y a une gestion objective : les jeunes qui sont dans la récidive ou la réitération sont suivis mais pour les jeunes primo-déliquants il peut y avoir ce déficit d’accompagnement” explique-t-il.
Avec paradoxalement, le risque que ces primo-délinquants ne deviennent à leur tour des récidivistes faute de suivi.
Contactée, la direction de la PJJ ne souhaite pas apporter de commentaire pour l’instant. Mais du côté des syndicats, il y a le sentiment que la direction locale “partage” ces constats. C’est donc plutôt de Paris que des annonces sont espérées. Et cela tombe bien, en juin, la direction de la PJJ est attendue à Mayotte. Après un tract synthétique où le syndicat décrit un service “à genoux”, des actions sont envisagées pour alerter ces responsables. En juin donc, “il y aura surement un petit mouvement pour marquer le coup” sourit Jean-Christophe Bermond. “Sauf s’ils viennent en Pères-Noël”.
Y.D.
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