Comment une affaire de mœurs devient un procès pour aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière ? Simplement en cumulant les infractions parmi les plus poursuivies à Mayotte.
Le premier chapitre de cette affaire a été jugé en janvier 2020 : un habitant de Mtsapéré était alors condamné pour séquestration et atteinte sexuelle d’une mineure de 15 ans. Cette dernière profitait d’être entendue par la justice pour dénoncer également la présence d’étrangers sans titre sur le terrain de celui qui avait été son compagnon quand elle était adolescente. De quoi ouvrir un second chapitre judiciaire pour l’intéressé.
Une perquisition était menée à son domicile de Mtsapéré, une maison appartenant officiellement à sa mère. Tout de suite, les enquêteurs étaient intrigués par la présence de deux compteurs électriques, et de nombreux fils installés de façon archaïque et reliant la maison à sa cour. Dans cette dernière, les enquêteurs découvraient plusieurs bangas en tôle reliés à un des compteurs, ainsi qu’une maison en construction, elle aussi approvisionnée par le même compteur. Dans les bangas comme dans la maison en chantier, plusieurs familles étaient hébergées. Dans la maison de la propriétaire, des enveloppes pleines d’argent liquide sont découvertes, chacune portant le nom d’un des occupants non déclarés.
Les policiers entreprennent alors d’auditionner les “locataires”, tous expliquent payer entre 50€ pour les bangas et jusqu’à 150€ pour une chambre dans la maison en construction pour les loyers, auxquels s’ajoutent les factures d’eau et de courant. Des montants corroborés par le prévenu lors de sa garde à vue, qui précise alors que “ma tante me demande de récupérer les loyers”. Des loyers qui étaient alors présentés comme servant à financer la construction de la maison, en chantier depuis plusieurs décennies faute d’argent pour le terminer.
Mais à la barre du tribunal, en l’absence de la propriétaire elle aussi poursuivie, il livre une toute autre version. “Le seul argent que j’ai demandé, c’est qu’on paye les factures” affirme-t-il, tentant de convaincre les juges que ces personnes étaient logées gracieusement “pour aider”. Par ailleurs assure-t-il, “il n’y a pas de banga, c’est une ancienne case Sim qui sert d’entrepôt à un magasin et les anciens toilettes de ma mère”.
“Alors pourquoi ces gens disent qu’ils y habitent ?” s’interroge la présidente du tribunal, “lors de votre garde à vue, c’est vous qui les appelez des locataires”.
“Pas de quoi être fier”
Empêtré dans ses contradictions, le prévenu ne pouvait que susciter l’agacement du procureur.
“En garde à vue M. a reconnu les faits. Aujourd’hui il nous dit que ce n’est pas pour récupérer les loyers qu’il passait entre le 1 et le 10 du mois. Je pense qu’il a compris qu’il n’y a pas de quoi être fier, car on est dans l’exploitation de la misère humaine. Ces gens sont obligés de faire des petits travaux à la journée, et on vient nous dire que c’est pour rendre service ? Je veux bien qu’on puisse rendre service à une famille dans le besoin pendant quelques temps, mais là on est sur une prévention de 2015 à 2018, il suffit d’un calcul simple, avec une fourchette basse, ça fait presque 20 000€ de versés. Ce commerce, choquant d’un point de vue humain, est aussi très lucratif. Le tout dans des logements contraires à la dignité humaine” poursuit le substitut qui décrit des cases “sans carrelage et sans aucun confort, juste pour mettre de l’argent de côté. Quand j’entends le mot humanitaire, j’ai envie de bondir de ma chaise, car quand on voit les branchements électriques, ces gens auraient pu perdre la vie ! Ca va jusque là cette indignité.”
Le parquet réclamait une peine de 10 000€ pour le prévenu et autant pour sa mère, propriétaire des lieux. Alors que maître Nizari réclamait la relaxe de ses clients, les juges ont opté pour une amende deux fois moins lourde que celle demandée : 5000€ chacun.
Y.D.
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