Que faisiez-vous aux temps chauds d’avant votre élection ?
Moinécha Soumaïla : J’étais assistante de direction au SMIAM, lorsqu’il était présidé par Soibahadine Ibrahim Ramadani. Lorsqu’il a été dissout, j’ai été recrutée à la mairie de Ouangani où je me suis mise en disponibilité pour préserver ma vie de famille quand j’ai été élue, étant maman de trois enfants.
Candidate la plus jeune, vous vous présentez en 2015 en binôme avec le plus âgé, l’ancien sénateur Soibahadine. Quelles étaient vos motivations politiques ?
Moinécha Soumaïla : Lorsque j’ai été sollicité pour les municipales en 2014, on me refusait le statut de 1ère adjointe. Je me suis intéressée alors de plus prés à la politique et j’ai accepté d’être la binôme de Soibahadine Ramadani, un peu inquiète de l’impact que ça aurait sur ma famille. Ma mère a été bouleversée, mais mon mari enseignant, m’a encouragée. Etant donné que je suis revenue à Mayotte à 24 ans après en être partie à 12 ans, et un diplôme d’assistante de gestion des PMI-PME en poche, je sentais que j’avais une autre vision de la politique que ce qui se pratiquait ici.
Etes-vous issue d’une grande famille politique ?
Moinécha Soumaïla : En dehors de mon oncle qui fut maire de Ouangani, personne dans ma famille proche ne s’est engagé politiquement. Avec Soibahadine, je m’amusais à dire que nous formions le binôme des extrêmes, en matière d’âges, sinon, nous sommes restés soudés, en dépit des évènements que nous avons traversés.
Bouder ou bouter, il faut choisir
Comment analysez vous votre mandature ?
Moinécha Soumaïla : Quand je suis arrivée, on ne voulais me donner aucune délégation sous prétexte que mon binôme était le président. J’ai expliqué que ça ne se passait pas comme ça, et bien que je sois intéressée par le Comité de Tourisme, c’est à la présidence du Service Départemental d’Incendie et de Secours, le SDIS, que je me suis retrouvée.
De manière globale, je n’ai pas eu de problème relationnel ou de rapport d’infériorité avec les hommes élus, il suffit d’investir son rôle politique. Par exemple, j’entends beaucoup d’anciennes élues se plaindre à la radio qu’on ne leur a pas laissé de place. Mais lorsqu’un de leur rapport n’était pas retenu, au lieu de le défendre, certaines préféraient bouder. Ce n’est pas ainsi qu’on défend un mandat. Lorsque le budget du SDIS a été revu à la baisse de 500.000 euros, j’ai envoyé un mail rageur en nocturne à tous les élus et au cabinet, et je suis venue m’expliquer ensuite en commission. Je peux dire que j’ai eu plus de difficulté avec certaines collègues femmes. Un jour, l’une d’elle a présenté en commission un rapport différent de celui qui avait été signé par le président, et en présence d’une structure qui n’était pas membre de cette commission, je lui ai expliqué que je ne la soutiendrai pas. Elle m’en veut encore !
En 2019, les pompiers se mettent en grève, un mouvement dur, qui se maintient sur plusieurs mois, et pendant lequel vous menez les négociations. Si vous êtes à votre place, peu d’élus osent prendre ce risque, et vous avez essuyé pas mal d’attaques pour défendre l’action du colonel Terrien, qui sera finalement poussé vers la sortie. Quel bilan en retirez-vous ?
Moinécha Soumaïla : Le constat final est assez désolant. Je reviens sur les faits. L’ancien directeur Fabrice Terrien avait visité toutes les casernes avant d’émettre un diagnostic sur les failles du SDIS et de proposer des pistes d’évolution. Nous étions en dialogue permanent tous les deux. Mais j’ai remarqué aussitôt qu’à la différence de la métropole, ici quand on revendique, c’est tout ou rien. Or, quand on en obtient la moitié, il faut savoir considérer les acquis, et négocier le reste par la suite. Je l’ai dit aux pompiers, mais le dialogue était impossible. Ils réclamaient une réévaluation de l’Indemnité d’administration et de technicité dans une proportion telle que cela mettait le conseil départemental en difficulté, et les communes dont certaines ont déjà du mal à verser leur participation. La 1ère délibération n’a pas pu avoir lieu au conseil départemental, le quorum n’étant pas atteint. Beaucoup d’élus fuient dans ce cas là, pour ne pas avoir à prendre de décisions. Les pompiers se sont rendus compte de l’influence qu’ils avaient en émettant des menaces sur les futures élections. Je leur ai dit que c’était le cadet de mes soucis, ils n’ont pas aimé. Par contre, dès qu’il y a eu les journalistes, beaucoup d’élus avaient une position sur la question. Mais qui restait en négociation jusqu’à 20h ou 22h avec eux ?! Pour finir, c’est ma proposition de relever l’IAT d’un point qui a été retenue. Cette position des pompiers m’est restée en travers, car l’IAT, c’est défendre son intérêt personnel, pas l’intérêt général. Or, il fallait arbitrer en terme de budget. Cela n’a pas empêché l’un d’entre eux de me répondre, « vous n’avez qu’à pas acheter d’ambulances pour nous verser l’IAT » ! Pour moi, être pompier, c’est un métier de passion, aider son prochain, mais là j’ai été déçue. Et pourtant, avec le colonel Terrien, nous avons relevé l’image des pompiers car quand nous sommes arrivés, on nous disait, ‘ils viennent jamais quand on les appelle’, ou ‘ils arrivent très tard’.
Les agents des administrations ici font de la politique à la place des élus
Le mouvement a gagné les pompiers d’aéroport aussi en 2019 et en 2020…
Moinécha Soumaïla : Sur ce sujet, ils étaient remontés par quelqu’un en interne qui leur a fait croire que les statuts privé et public, ne pouvaient pas cohabiter. Or, c’était ce qui devait être mis en place à l’aéroport. L’idée était de bloquer les effectifs à 17 pompiers là-bas, pour recruter des pompiers volontaires. Cela permettait à tous ces jeunes en situation précaire d’avoir un emploi. En multipliant les grèves à Mamoudzou et à l’aéroport, ils n’ont pas vu qu’ils se mettaient en difficulté, ils ont pris en otage la population mahoraise et n’ont pas permis que l’on intègre à l’effectif leurs frères mahorais. Quand ils ont compris et qu’ils ont adhéré à l’idée, c’était trop tard, depuis le 1er janvier 2021, ce n’est plus le SDIS qui intervient à l’aéroport.
Des banderoles affichaient « Présidente incompétente », etc. Vous avez été fortement attaquée. Comment l’avez-vous vécue ?
Moinécha Soumaïla : Je retiens que, quand on veut apporter quelque chose de nouveau à Mayotte, on est rejeté. En prenant du recul vous voyez les gens partir travailler sans attendre autre chose que le salaire à la fin du mois, sans se poser la question du professionnalisme. Et je ne parle pas que du SDIS. Les agents des administrations ici font de la politique à la place des élus. Quand un administré vient voir un agent pour un problème administratif, il lui répond ‘vas voir ton élu’ ! Et si en retour l’élu donne son consentement et que l’agent n’est pas du même bord politique, il va tout faire pour ne pas s’exécuter.
Pourquoi ne pas avoir communiqué davantage pendant le conflit ?
Moinécha Soumaïla : Parce que je ne voulais pas envenimer davantage la situation. J’ai toujours vaincu seule les pressions. J’ai été salie, mais il faut prendre de la hauteur. Le seul à m’avoir soutenu sans faille, c’est mon cousin et élu Ali Debré Combo.
Vous ne vous représentez pas. Vous avez d’autres pistes en vue ?
Moinécha Soumaïla : J’ai créé mon entreprise en 2016, une SARL dans l’habillement ‘Wana loulou’ de prêt-à-porter pour enfant, et une autre dans l’alimentation.
Je ne me représente pas car l’honnêteté totale en politique, ça n’existe pas, on dure pas longtemps. Mon frère a postulé à un marché du SDIS, je lui ai clairement dit de répondre comme tout le monde, que je ne ferai rien de plus que pour les autres pour qu’il soit pris. Notre famille est sur ce mode. Les mêmes personnes sur les réseaux sociaux qui critiquent les élus sont les mêmes qui ensuite nous sollicitent pour les mêmes pratiques.
Quand on me demande pourquoi je n’ai pas démissionné, je réponds que j’ai fait campagne et que ce serait trahir ceux qui m’ont fait confiance. Quand je regarde certaines de mes collègues se représenter, je me demande avec quelle crédibilité, sans avoir été honnête sur le bilan de leur mandat.
Au sujet des élections, je suis inquiète car je ne suis pas sure que les futurs élus aient une vision d’unité comme le président Soibahadine qui a su donner des responsabilités aux élus d’opposition. On ne s’accapare pas tout en risquant de mettre en péril le territoire.
Ma dernière action sera la signature de la Convention pluriannuelle entre le SDIS et le Département sur les investissements dans les casernes. Toutes les casernes, pas seulement celles de mon canton !
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
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