Deux policiers aux carrières brillantes qui arrivent à la barre les menottes aux poignets, la scène n’est vraiment pas typique. Et quand l’un d’eux, jugé en comparution immédiate, explique aux juges avoir bu des bières en salle de pause et s’être arrêté chez un ami pour boire un verre en pleine patrouille, cela donne la très déplaisante impression que ces pratiques sont communes au commissariat de Mamoudzou. “Je ne peux pas le croire” balaye pourtant le procureur Yann Le Bris, réitérant sa “confiance dans l’institution policière”. “Je ne peux pas croire que ça soit un comportement normal au sein du commissariat de Mamoudzou d’être ivre en service” répète-t-il.
Une confiance entre justice, police et population qui avait déjà été émaillée par l’affaire qui a mené là les deux coéquipiers, affectés jusqu’alors aux patrouilles de nuit.
L’affaire prend sa source début mars 2021. Une adolescente indique alors avoir été violée par un policier de 22 ans, sous la menace de son arme de service, et ce dans l’enceinte du commissariat. Dans le cadre de cette affaire en cours, les coéquipiers du jeune policier mis en examen sont entendus. On leur demande notamment si l’adjoint de sécurité dont ils avaient la responsabilité cette nuit-là avait bu, et s’ils ont remarqué quelque chose. Dans leurs premières déclarations, “tout était normal” assurent-ils.
Une position contredite par la vidéo surveillance du commissariat que consulte également le magistrat instructeur. On y voit les deux policiers expérimentés en présence du jeune en formation. Ce dernier tient à peine debout, sort son arme de service à plusieurs reprises. L’un des policiers, 20 ans de carrière derrière lui, pousse un cri d’alerte, mais ne désarme pas son collègue. Pire, il reconnaît à l’audience que quelques dizaines de minutes plus tard, tous les trois partent en patrouille, laissant le jeune homme ivre dormir sur la banquette arrière. Que serait-il advenu s’ils avaient dû intervenir sur une situation sensible ? Les juges n’ont pas posé la question embarrassante.
“Vous passez chez des amis boire un verre alors que vous êtes en service ?” demande quand même le président Souhail, pour être bien sur d’avoir compris.
-Oui, répond un des fonctionnaires à la barre.
“J’aurais dû le désarmer”
Toujours est-il que les deux fonctionnaires, en plus de reconnaître avoir consommé de l’alcool en service, ne pouvaient ignorer que leur adjoint de sécurité n’était pas en état de travailler. “J’aurais dû le désarmer et le ramener chez lui, je ne l’ai pas fait” admet le plus expérimenté des deux prévenus qui reconnaît aussi avoir voulu “minimiser” l’attitude du plus jeune. Il ignorait alors que ce dernier serait accusé d’un viol commis plus tôt dans la soirée.
Mais alors pourquoi, lorsqu’on les interroge sur ces faits, les deux fonctionnaires ont estimé que le troisième avait un “comportement normal” ? Niant avoir voulu le “couvrir”, ces derniers renvoient la faute à leurs collègues de la police aux frontières qui les interrogeaient, affirmant que leurs questions portaient sur des plages horaires précises. Ils n’auraient pas jugé utile de préciser les écarts de conduite constatés quelques minutes avant ou après. De quoi faire bondir les magistrats qui, selon l’avocat Erik Hesler, s’offrent alors quelques “questions à charge”. “N’importe quel auditeur extérieur à cette affaire est capable de comprendre que vos explications ne sont pas sérieuses” balaye le procureur. “Quelle est ma crédibilité si on sait que les fonctionnaires peuvent trahir la vérité quand ça les arrange ? C’est toute la crédibilité de l’institution policière et judiciaire qui est mise en danger par vos pratiques” accuse le procureur. “La loyauté est le socle de toute l’action judiciaire, si à un moment de la chaine il y a du mensonge, c’est toute l’institution qui vacille.” Pour lui, “dire que tout était normal, ça caractérise un faux témoignage”.
Or, le faux témoignage dans une enquête criminelle, c’est un délit passible de 5 ans de prison.
” Toutefois, le faux témoin est exempt de peine s’il a rétracté spontanément son témoignage avant la décision mettant fin à la procédure rendue par la juridiction d’instruction ou par la juridiction de jugement” prévoit le code pénal. Impossible donc de les condamner avant le procès d’Assises qu’encourt leur collègue. La peine des deux fonctionnaire est donc ajournée. En attendant, ils ont interdiction d’exercer la fonction de policier pour un an, et interdiction de contacter leur collègue mis en examen. Ce dernier a en effet été laissé libre sous contrôle judiciaire le temps de l’enquête pour viol.
Y.D.
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