“A Mayotte, il vaut mieux ne pas être malade”. Cet adage, beaucoup l’ont entendu de leurs collègues en arrivant ici. Faible densité médicale, délais importants pour avoir un rdv, manque de spécialistes, font que le parcours de soin peut prendre des allures de parcours du combattant. L’étude menée par l’Insee en 2019 et qui vient d’être rendue publique “confirme des intuitions et des données éparses que l’on connait depuis longtemps” selon Dominique Voynet, directrice de l’ARS.
L’information numéro 1, qui est d’ailleurs le titre de l’étude, c’est que “près de la moitié (45%) des habitants de Mayotte ayant eu besoin d’un soin ont dû le reporter ou y renoncer”. Ce résultat, menée dans le cadre d’une enquête européenne menée tous les 6 ans, l’a été pour la première fois dans les 5 DOM en même temps que la métropole. A Mayotte, il a fallu 6 mois pour rencontrer et interroger les quelque 1200 foyers qui ont servi à l’étude.
Il en résulte que 60% des habitants ont moins de 25 ans. On pourrait en déduire une meilleure santé globale, mais il n’en est rien. Ainsi, on atteint ici 21% de la population qui se dit en mauvaise santé contre 7% en métropole, et quel que soit l’âge, la part est plus importante. Cela a un impact sur l’espérance de vie, qui est de 75 ans ici contre 83 ans en métropole. La mortalité est plus forte dans toutes les tranches d’âge.
“La cause principale c’est le motif financier pour 34%, ensuite le délai d’obtention d’un rdv, le manque d’offre (9%), il y a certaines spécialités qu’on a du mal à trouver sur l’île voire qui sont inexistantes. Une faible densité médicale explique tout cela” résume l’Insee. Le constat est sans appel, pour 100 000 habitants, il y a moitié moins de médecins à Mayotte qu’ailleurs en France, et pour les spécialistes, cette part s’effondre à 20% du reste du pays.
Les différentes tranches de la population ne sont pas pour autant égales face à la santé.
Ainsi certaines catégories sont-elles plus exposées à la mauvaise santé que d’autres. En premier lieu, les femmes, les personnes sans diplômes et les personnes sans emploi. Les personnes sans emploi sont deux fois plus nombreux à être en mauvaise santé que les personnes en emploi. Et si “sans surprise les jeunes sont moins impactés” note Bertrand Aumand de l’Insee, “on constate tout de suite que les chiffres de la mauvaise santé explosent chez les habitants de 65 ans ou plus” (voir graphique ci-contre). Selon ce sondage, un tiers des plus de 55 ans peine par exemple à monter un escalier.
Le lieu de naissance est aussi un critère déterminant dans l’état de santé. Ainsi parmi les natifs de métropole ou d’autres DOM, aucun sondé ne se dit en “très mauvaise santé”. A l’inverse les natifs de Mayotte ou de l’étranger sont nombreux à se dire en mauvaise voire en très mauvaise santé.
L’alimentation et l’éducation à la santé en ligne de mire
Mais un des points les plus alarmants concerne l’obésité, qui atteint des records nationaux à Mayotte. Ainsi, 34% des femmes sont en situation d’obésité contre 16% des hommes, et plus de la moitié des femmes de plus de 35 ans sont obèses. L’obésité touche à Mayotte 26% de la population de plus de 15 ans contre 14% en métropole et 20% en moyenne dans les autres DOM.
Or, si cela paraît être une évidence, « iIl n’y a aucun avantage à être obèse » rappelle le statisticien qui constate que les personnes obèses sont plus touchées que les autres par tous les problèmes de santé pour lesquels ils ont été sondés.
Du coup, “l’obésité est un véritable enjeu de santé publique à Mayotte” note le responsable de l’Insee Mayotte.
Les causes rejoignent celles plus globales sur la santé en général, notamment le manque de prévention et d’éducation à la santé. “Le régime alimentaire féculents, riz, mabawa et soda sucrés participent à cette situation” illustre Dominique Voynet, “lors des fêtes la plupart des aliments font prendre du poids. On associe l’alimentation plaisir aux aliments gras et sucrés. Pourtant on peut se faire plaisir avec des aliments sains ! Ensuite il y a l’industrialisation de l’alimentation ultratransformée et bourrée d’additifs. Il vaut mieux proposer une purée de légumes locaux, qu’un paquet de chips. Plus on cultivera ici mieux ce sera.”
Une culture des aliments qui doit rejoindre une meilleure culture scientifique et médicale.
“La maitrise de la langue est aussi un facteur, une ordonnance il faut savoir la lire en français, la comprendre, l’appliquer, être rigoureux dans le traitement” indique le responsable de l’Insee.
De fait, constate la directrice de l’ARS, les combats à mener pour une meilleure santé à Mayotte sont multiples, et pas tous de la seule compétence de l’ARS. “La moitié de la population n’a jamais vérifié son taux de cholesterol, 39% n’ont jamais contrôlé leur taux de glycémie, la moitié des habitants a des difficultés à comprendre les recommandations des professionnels de santé”. Et si “la loi Lurel est appliquée, il y a un biais. Dans les Doukas tout un tas de produits ne sont pas autorisés à la vente en Europe, les produits qui arrivent de Dubaï ou en kwassa ne respectent aucune norme et ne sont pas inspectés par les services de l’Etat français. Beaucoup de facteurs se cumulent. Il faut s’attaquer à plusieurs fronts en même temps”.
Cela tombe bien, le leitmotiv de l’Insee est justement de fournir des données à même de nourrir le débat et les politiques publiques. Si cette étude confirme ce qu’on savait déjà en partie, elle ne pourra donc que conforter les actions prises pour améliorer la santé des Mahoraises et des Mahorais.
Y.D.
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