A la barre, Estelle Youssouffa, que l’on a connue plus véhémente, et son frère Christophe, montrent un visage calme. Il leur était reproché des faits de rébellion présumément commise en octobre 2019, lors de la visite d’Emmanuel Macron à Mayotte. Lors de l’arrivée du Président, un important dispositif policier interdisait l’accès à la zone de la barge, sauf à quelques journalistes accrédités, élus ou encore sympathisants du Président. De quoi assurer les images de foule enthousiaste l’accueillant à Mamoudzou que l’on a pu voir à la télévision ce jour-là.
Le Collectif des Citoyen lui, avait appelé sur les réseaux sociaux à venir accueillir le chef de l’Etat “vêtus de blanc” pour montrer pacifiquement le mécontentement ambiant. De leur côté, le service du renseignement territorial avait mis en garde le préfet contre un risque de trouble à l’ordre public d’une vingtaine de manifestants vêtus de blanc. C’est ainsi que les policiers ont interdit l’accès à la fratrie, bien que 10 fois moins nombreuse que ce qui était attendu et redouté.
Selon le dossier résumant le contexte, “deux personnes en blanc susceptibles de causer un trouble à l’ordre public” auraient “harangué la foule”. Il est fait état d’un policier “bousculé” par Christophe Youssouffa, qui aurait alors été interpellé. Estelle Youssouffa se serait alors interposée en saisissant le bras de son frère pour le soustraire aux policiers avant d’être elle-même arrêtée. Les deux sont décrits comme “provocants” voire “insultants”.
Un échange surréaliste avec le sous-préfet Kerdoncuf
Or, trois vidéos produites par la défense montrent un scénario bien différent. On y voit pendant près d’un quart d’heure les deux frangins dont l’accès était refusé s’asseoir au sol en guise de seule protestation, réclamant sans succès l’arrêté préfectoral qui leur interdirait l’accès. On voit alors le sous-préfet Julien Kerdoncuf venir à leur rencontre, et un échange “ferme” mais poli s’engage, entre d’une part les deux membres du collectif réclamant le “fondement légal” de leur blocage, et de l’autre le sous-préfet qui explique que leur “attitude” justifie de les stopper loin du Président. Le sous-préfet tente de justifier les consignes. “Il s’agit d’un regroupement”, il est interrompu par Estelle Youssouffa qui rétorque “il n’y a que mon frère et moi !”
“Compte tenu de votre comportement je n’accepterai pas que vous approchiez” tranche le sous-préfet alors que Christophe Youssouffa venait de l’appeler “M. le gouverneur”. “vous constituez une menace à l’ordre public, est ce que vous voyez d’autres gens qui crient autour de vous ?” poursuit le représentant du préfet. “Est ce que vous voyez d’autres gens qui sont empêchés de circuler ?” rétorque au tac-au-tac la militante. “On n’a aucun comportement dangereux vous êtes de mauvaise foi” accuse-t-elle, avant que son frère ne s’avance vers les policiers. La vidéo ne montre alors aucune bousculade, et s’interrompt avant l’interpellation. Un autre clip montre Estelle Youssouffa portée par 4 ou 5 policiers vers le fourgon, quelques minutes plus tard. Une troisième, tournée au commissariat, permet d’entendre cette dernière demander qu’on lâche son frère. Un policier se moque en répétant ses paroles, un autre lâche un “ta gueule” qui indigne Christophe Youssouffa. L’avocate dénonce une attitude “lamentable” de ces fonctionnaires.
Faut-il obéir à un ordre illégitime ?
Le président Souhaïl a tenté de centrer les débats sur le refus d’obéir des deux Youssouffa et leur “attitude naturelle” face à “un représentant des forces de l’ordre”. “L’attitude normale c’est que lorsque les forces de l’ordre vous interdisent d’aller quelque part, c’est qu’on ne va pas à l’encontre” estime-t-il. “Si vous contestez une décision administrative il faut faire un référé liberté pour la contester”. Le référé liberté, assurément, n’est un réflexe “naturel” que pour peu de citoyens, juristes mis à part. Par ailleurs pour l’avocate parisienne Me Goldman, “résister à un ordre illégal n’est pas illégitime, ce qui l’est c’est de résister de manière violente”. Et de poursuivre, “M. le président, quand vous dites que face à un ordre il ne fallait pas y aller, en tant qu’avocate et citoyenne, je ne suis pas sure d’être d’accord. Dans la limite de la loi et tant qu’on n’oppose pas de violente, est est dans son droit, ça s’appelle la désobéissance passive ! “
Amende requise
Et là s’engage un débat de pur droit entre le parquet, héritier d’une procédure qui a mis deux ans à aboutir sur une ordonnance pénale que les frère et sœur ont contesté, ce qui leur a valu de finir au tribunal, et la défense, qui rejette toute rébellion de ses clients.
Pour le procureur Yann Le Bris, le contexte importe peu, “On n’a pas à se poser la question de savoir si l’interdiction qui était faite à M. et Mme Yousssoufa de circuler était légale ou illégale, en tout cas pour constituer ou non l’infraction de rébellion. Le caractère légitime ou pas du positionnement des fonctionnaire ne doit pas nous concerner. Le droit dit que dès qu’on a un ordre donné par une autorité de police, on n’a pas à se demander si l’ordre est légal ou pas pour se rebeller ou pas. Ce qui m’importe, c’est de voir si vous avez eu un comportement qui à un moment peut juridiquement avoir une qualification de rébellion.”. Et pour lui la réponse est oui, quand Christophe Youssouffa a aspergé les policiers avec sa bouteille d’eau, un geste involontaire selon lui, et oui quand sa sœur l’a tiré par le bras, alors qu’elle le voyait dit-elle, “étouffer” par la “clé de bras” d’un policier. “Le fait de tenter de libérer un individu appréhendé en le tirant vigoureusement est constitutif d’un fait de rébellion. Je fais le constat qu’alors que son frère est interpellé, Mme Youssouffa essaye de libérer son frère”. Une manière de soutenir la procédure initiée par son prédécesseur, sans grande conviction apparente. “Peut être que mon analyse juridique n’est pas bonne” tempère-t-il. “Cette affaire a été traitée tardivement dans le cadre d’une procédure simplifiée, qui montre, 2 ans après les faits, toute la mesure de l’importance que le parquet a voulu donner à cette affaire avec une ordonnance pénale qui fait encourir 300€. Ils ont contesté cette ordonnance pénale estimant n’avoir commis aucune infraction. Je vous demanderai aujourd’hui de prononcer une peine entre 150 et 200€ d’amende, simplement pour marquer la culpabilité, mais c’est plus une réponse de principe juridique qu’une réponse pénale visant à rappeler les responsabilités”. Sur le fond du dossier, c’est à dire l’interdiction faite aux membres du collectif d’accueillir le président vêtus de blanc, “je suis respectueux de la séparation des pouvoirs, à l’origine on est sur une décision qui est de la seule autorité du pouvoir administratif, il serait malvenu de la part d’un procureur de porter un jugement sur le caractère légitime ou non d’une interdiction de participer à une manifestation publique. Si vous estimez qu’elle était illégitime, il faut le porter devant une autre juridiction, et éventuellement demander une indemnisation si vous estimez avoir eu un préjudice” poursuit Yann Le Bris. “Ce sont des réquisitions d’apaisement qui reposent sur un fondement juridique” conclut-il.
Un dossier mal rédigé qui sape l’accusation ?
Un fondement juridique, c’est justement ce que l’avocate a soulevé pour réclamer la relaxe pure et simple de ses clients. Elle a toutefois quand même évoqué l’interdiction de manifester. A l’origine rappelle-t-elle, “ces personnes sont signalées car on annonce la venue d’une 20aine de personnes. Nous parlons d’une frère et d’une sœur, ils sont deux. Vêtus en blanc. Ils n’ont pas d’arme, ne sont pas dangereux, et la vidéo le montre bien. L’annonce qui aurait alerté les forces de l’ordre “les Mahorais, afin de montrer votre mécontentement, portez des tee-shirt blancs”, ça ferait bien rire les black block !” raille l’avocate.
En effet, la prévention (l’acte qui consiste à poursuivre une personne pour un délit) concerne un fait de rébellion pour les deux prévenus, à l’encontre d’une seule policière, et en un lieu bien précis, au “croisement du rond-point Passot”. Ainsi ni le policier “bousculé”, ni les faits décrits dans le fourgon de police ou au commissariat ne sont concernés par la saisine du tribunal, plaide-t-elle. De plus, à aucun moment Christophe Youssouffa n’a été en contact avec la policière citée par la prévention, et “s’agissant d’Estelle Youssouffa, ils ont bien été en contact, mais on ne parle d’aucune rébellion envers elle. Elle gesticulait, certes la jurisprudence est large, mais gesticuler n’est pas une résistance ! Et encore ce qui se passe dans le fourgon, on n’en est pas saisi, la prévention parle bien de l’angle du rond-point Passot. Vous n’êtes plus saisi de ce qui se passe ensuite”. Sur ces fondements, la juriste estime que le juge ne peut désormais “qu’entrer en voie de relaxe”.
Ce dernier s’est donné une semaine pour y réfléchir, il rendra sa décision mardi 14 septembre à 9h.
Y.D.
Comments are closed.