L’actualité n’est pas réjouissante, rythmée par une toute petite partie de la jeunesse qui dicte sa loi violemment de sorte de perturber le quotidien des habitants de l’île. Quelle vision avez-vous des évènements récents ?
Issihaka Abdillah : Si les maires ont eu raison de se mobiliser parce qu’on a touché au symbole de la République qu’est la mairie de Koungou, ça fait longtemps qu’on a touché aux enfants de la République. Que ce soit en 2016 quand un père de famille a été tué à Kawéni alors qu’il accompagnait son fils au judo, ou le jeune gendarme de Trévani blessé, et tous les anonymes. Je salue la fermeté de l’Etat, les quartiers informels doivent disparaître, mais nous ne devons pas perdre notre sens de l’humanité, et accompagner en même temps les familles, notamment celles dont les enfants sont scolarisés et construire des logements. Lorsque j’étais président de la SIM, nous avions construit un immeuble dans une logique de mixité sur les hauteurs de Koungou. C’est l’esprit de la loi Elan. A Carobole, il y a eu cette fois une enquête sociale étendue. Mais pour éviter d’en arriver là, le maire doit être maître de son territoire, et quelque soit le banga, il doit être immédiatement détruit. Il doit étoffer sa police municipale avec l’aide de l’Etat et la former.
Les habitants de Combani et Mirereni se sont affrontés par enfants interposés, avec une violence inouïe. Comment dépasser durablement la rancœur communautaire ?
Issihaka Abdillah : On a importé les conflits des autres îles, la réussite des uns, la jalousie des autres. Ça ne peut être résolu que par eux-mêmes. Il faut trouver l’intérêt commun qu’ils auraient à la paix. On ne peut pas déplacer ces populations de Mirereni et de Combani. Il y a eu l’initiative d’un match de foot, il faut élargir ces initiatives sur la durée et créer de l’emploi pour les défavorisés. Et donner un coup de neuf au village de Mirereni en y menant des opérations de type ANRU (Rénovation urbaine). Il faut aller vite, avec un vrai projet, des propositions d’insertion, de formation et d’emploi. Intégrer davantage de jeunes de Mirereni au RSMA voisin. La violence est liée à la pauvreté.
Vous demandez à l’Etat de s’investir davantage. Sous quelle forme ?
Issihaka Abdillah : Il faut un grand plan régalien, sur deux domaines, la lutte contre l’immigration clandestine et le développement économique. Il y a eu des annonces, mais elles ne correspondent pas aux enjeux.
Lutter contre l’immigration clandestine est important, car, comme le dit mon ami Mouhoutar Salim, quand une personne est en situation irrégulière, toutes ses actions sur le territoire va générer de l’irrégularité pour ne pas se faire attraper. Pour une lutte efficace, nos intercepteurs ne sont pas adaptés, je l’ai déjà dit, la PAF le dit. En surrégime, leur autonomie n’est que de 3 heures, avec la capacité d’intercepter des kwassas dotés de moteurs jusqu’à 20cv. C’est plus compliqué pour les deux fois 40cv. L’Etat va livrer des patrouilleurs à La Réunion, à la Guyane, à la Polynésie française et à la Nouvelle Calédonie. Ce sont des unités de 70m, avec 28 membres d’équipage et qui possèdent 6 places de rétention. Ils sont équipés de radars mobiles et de drones, c’est ce qu’il nous faut. Leur vitesse de pointe est de 40 nœuds et ils ont 30 jours d’autonomie. Avec des missions qui collent à nos besoins, de souveraineté et de protection des intérêts nationaux dans les espaces maritimes ultramarins, et de luttes contre les activités illicites incluant le narcotrafic et contre l’immigration illégale. Pourquoi n’avons-nous pas été dotés ? Ils ont été décidés dans le cadre de la loi de Programmation militaire 2019-2025, qui avait une clause de revoyure en 2021. Il faut se positionner dès maintenant sur la prochaine.
Un autre volet de cette lutte contre l’immigration clandestine, c’est la capacité des renseignements territoriaux à informer, notamment sur les complices des passeurs vivant à Mayotte, et plus généralement sur les préparatifs des violences. Il y a une organisation, un chef de bande. Il paraît qu’un sms circulait, ‘ne touchez pas à tel bus aujourd’hui, je suis dedans’. On demande toujours plus de gendarmes mais il faut aussi étoffer les renseignements territoriaux, être au cœur de ce qui se passe. Parmi leurs directives, on trouve ‘repérer le repli communautaire et identitaires’. C’est ça qui nous manque. Et ça relève du régalien. Des forces de l’ordre bien informées sauront agir, sous condition ici de mélanger les territoriaux qui connaissent l’île avec les mobiles.
Mais en matière de délinquance, on n’y arrivera pas sans coopération judiciaire avec les Comores.
Incarcérer les délinquants aux Comores
Elle a déjà été mise en place, avec les limites de l’ingérence dans les affaires d’un pays étranger qui est souvent opposé…
Issihaka Abdillah : Il faut aller plus loin, on le peut. Réfléchir notamment au moyen d’incarcérer les délinquants comoriens là-bas, aux Comores. La loi prévoit que, lorsque cela relève du pénal, on peut extrader. Il faut tenir le même raisonnement que pour les rapprochement familial lorsqu’on aide financièrement les familles à éduquer leurs enfants là-bas. Le coût que nous avons par prisonnier, il faut le verser aux établissements pénitentiaires comoriens pour qu’ils les prennent en charge, ce qui permettra l’alléger les sureffectifs de Majikavo. On peut affecter à cela le plan d’aide aux Comores de 150 millions d’euros en cours. Il doit aussi permettre de mettre en place une coopération entre la Croix Rouge et le Croissant comorien pour tout ce qui touche aux enfants, au scolaire et au médical.
L’autre partie de votre plan régalien porte sur le développement économique. Mais nous avons déjà un plan de convergence de 1,6 milliard d’euros en cours…
Issihaka Abdillah : « Justement, il se termine en 2022, mais où est le bilan de ce qui a été fait ? Et quel a été l’impact sur le quotidien des mahorais ? Le but, c’était ça. Le plan régalien doit comporter deux mesures phares. La première, c’est d’installer une zone franche, avec des exonérations fiscales. 60% de la population a moins de 25 ans, il faut donner aux entreprises la possibilité de les recruter en allégeant les charges sociales. Entre Mayotte et Maurice qui est en zone franche, les investisseurs savent où tourner leur pas.
Deuxième mesure, mettre en place une continuité territoriale des matériaux du BTP et des engins de chantier pour diminuer le coût de la construction, sur les véhicules de transport des passagers, sur les fournitures scolaires et le matériel pédagogique, et sur les produits pharmaceutiques. Pas sur les aliments, ils ont le Bouclier qualité prix qu’il faut réactiver. Pour faire venir un engin de chantier, cela va couter 500 euros entre paris et Marseille, et 10.000 euros entre Paris et Mayotte. Comment peut-on répondre aux marchés publics ? La politique de développement du logement sociale est plombée. Le rapport du Sénat sur la politique du logement en Outre-mer sorti en juillet dernier est à ce sujet alarmant. Il invite le gouvernement à rebâtir son action autour d’une politique de l’habitat en Outre-mer. Il fait état notamment de normes imposées par l’Union européenne, alors que les ultramarins n’ont pas les mêmes contraintes météo que la métropole. Ils appellent à réinventer les normes pour les adapter aux régions ultrapériphériques que nous sommes, pour qu’on puisse se fournir en Afrique du Sud ou à Madagascar, en bois notamment. Ça diminuera les coûts de transport, préservera l’environnement, favorisera les circuits courts en développant l’économie régionale.
En conclusion, je voudrais alerter sur la multiplication des grands discours qui n’aboutissent sur aucune visibilité pour les habitants, qui ensuite en veulent aux élus. On sort d’un lourd conflit social, où on a annoncé beaucoup de choses, notamment un 2ème hôpital et une extension de l’actuel, l’Etat doit concrétiser ses annonces.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
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