Ce n’est pas un épisode de plus dans la saga du port, juste une carte supplémentaire à jouer pour les acteurs du port, et du manutentionnaire SMART/CMA-T en particulier, avec la nomination à la tête du conseil portuaire de Mansour Kamardine. Nous revenons de manière synthétique sur cette trop longue « saga du port de Longoni ».
Lorsque en 2013 Ida Nel remporte la Délégation de service Public (DSP) du port par laquelle le conseil départemental lui en confère la gestion, elle décide d’acheter 3 grues et 4 portiques (RTG), « selon des modalité de financement qu’elle a elle-même définis, matériel dont le financement et l’amortissement coûtent très cher dans un contexte de surcapacité », dénonce par la suite le rapport de Denis Moranne, expert de la Cour administrative de Bordeaux, qui date de 2017 (Consulter le Rapport d’expertise Port-Longoni-Denis-Moranne). En clair, le conseil départemental, pourtant déléguant, n’a pas eu son mot à dire. Un outillage en grues et RTG disproportionné au regard de l’activité du port, ce qui génère des surcoûts pour équilibrer les finances. Pour s’y retrouver, MCG fixe des tarifs élevés pour l’utilisation de ses grues, alors que les calculs de la cour d’appel pour des tarifs « justes », les divisent par 3 ou 4, les ramenant à 348 euros l’heure pour les grues et 212 euros de l’heure pour les portiques. Qui ne seront jamais appliqués.
Toujours selon le même rapport un agrément de défiscalisation a permis à MCG d’utiliser ce type de financement (qui exonère d’impôts, mais avec une contrepartie) pour une partie de ses grues et portiques. Et de faire bénéficier aux associés de la SAS Port de Longoni d’un crédit d’impôt « sur leurs situation fiscales personnelles », « SAS et MCG étant dirigées par la même personne physique », donc Ida Nel, souligne encore le rapport. Le chiffre d’un crédit total d’impôt de 4 millions d’euros est avancé dans ce document.
En dépit de l’agitation, les grues restent muettes
Un outillage bien acquis qui lui profitera, puisqu’elle refusera de le mettre à disposition du manutentionnaire historique et unique à l’époque, la SMART. Qui sera aussitôt concurrencé par une filiale créée par MCG, Manu port, au bénéfice d’un changement de code APE que nous avions là encore dénoncé (Les deux codes APE-5224A de manutentionnaire excluant l’exploitation d’un port et APE-5222Z d’exploitant portuaire excluant la manutention sont incompatibles). MCG devient gestionnaire du port et manutentionnaire. Elle incite à l’époque la compagnie CMA-CGM à donner ses navires à décharger uniquement à sa société, ManuPort. Sous prétexte que la SMART n’aurait plus le droit de séjourner sur le port faute d’Autorisation d’Occupation Temporaire, AOT délivré par… MCG. Là encore, la justice a condamné, mais rien n’a bougé.
En juillet 2020, la SMART est rachetée par la filiale Terminals de CMA CGM, la CMA T. Par une décision en référé en juillet 2020, la justice ordonne à Ida Nel de délivrer une AOT à la CMA-T (le jugement au fond est en cours), et parallèlement, le préfet et le président du conseil départemental adressent conjointement un courrier au vitriol à Ida Nel, « Votre décision (de priver CMA-T d’AOT, ndlr) ne relève pas tant de la défense de l’intérêt de la DSP qu’à vous approprier l’intégralité de la manutention et, de fait, d’organiser le monopole de l’aconage sur le port ».
Mais depuis, les grues et portiques ne sont toujours pas mis à disposition, déplore le nouveau directeur de CMA-T, David Castex, qui a convié ce vendredi Mansour Kamardine à jouer les Saint Thomas sur le port . Un navire de l’autre compagnie, le « MSC Polo II » est déchargé par les grues du bord, celles du quai restant muettes, une anomalie pour David Castex : « Nous ne pouvons toujours pas utiliser les grues du quai. Un jour madame Nel avait indiqué qu’elles appartenaient à ManuPort. Un outillage public qui devient la propriété d’un seul manutentionnaire sur un port, ça ne s’est jamais vu ! Lors du conseil portuaire du 24 septembre dernier, je lui ai officiellement demandé pourquoi nous ne pouvions pas louer cet outillage portuaire, elle m’a répondu que nous ne remplissions pas les critères, sans que j’ai pu avoir davantage de précisions. Je rappelle que nous avions formé nos gars à La Réunion et à Maurice, et que nous avions signé une convention tripartite avec elle, qui n’a pas été respectée. Elle nous met sous tutelle et elle nous concurrence en même temps… »
« Les puissances visibles de l’argent » et le port de Longoni
L’immobilisme sur l’outillage portuaire nuit à la santé de l’île, rapporte toujours David Castex : « Les grues du navires peuvent traiter 10 containers par heure, quand les grues du quai atteignent 15 à 18. Le fait d’en être privé augmente l’immobilisation du navire à quai, donc le coût pour le transporteur qui le répercute sur le prix des marchandises. » Surtout que selon les professionnels du port, les grues achetées par MCG travaillent peu, « elle ne traite que la moitié des navires de la ligne Noura de CMA CGM, l’autre partie qui concerne les feeders et les navires de MSC sont déchargés par la SMART/CMA-T. » Ce qui s’explique par une réorientation des choix de CMA CGM qui avait dédié ses navires au manutentionnaire ManuPort en l’absence d’AOT pour la SMART, l’affaiblissant, avant de la racheter, et de lui réattribuer logiquement une grosse partie du trafic. Pas en totalité, l’autre étant octroyé à ManuPort.
Mansour Kamardine fait face aux grues du quai, et interroge, « quel est leur statut ? Outillage privé ou public ? » Le regard du directeur de CMA-T se tourne vers la Direction générale des Finances Publiques, « il faudrait qu’ils donnent une réponse sur l’existence ou non de crédits d’impôts au bénéfice de la présidente de MCG, et du statut des grues pendant les 7 ans de défiscalisation, qui se terminent l’année prochaine, car elles devraient ensuite quitter le patrimoine du conseil départemental. »
S’il est venu s’imprégner du parfum des quais en tant que président du conseil portuaire, Mansour Kamardine n’avait pas eu sa langue dans sa poche contre Ida Nel à l’issue des élections départementales, vitupérant contre « les puissances visibles de l’argent qui s’immiscent dans le jeu démocratique et prennent en otage le conseil départemental » et en invitant à se pencher « très sérieusement sur l’intérêt de Mayotte vis-à-vis du port de Longoni. Il en va de l’économie de ce territoire. » La gestionnaire du port était reçue ce vendredi au conseil départemental.
Depuis le début de la saga, c’est le huis clos qui prévaut en matière de décisions, le vent du scandale ne semblant pas pouvoir franchir la double barrière de corail pour parvenir jusqu’aux oreilles parisiennes. En dehors de l’obligation imposée par l’ex-premier ministre Edouard Philippe d’introduire une commission financière dans la gestion du port. A l’image de l’eau potable où l’Etat a demandé aux mairies de se dessaisir de leur compétence pour une reprise en main, essuyant un refus du président du syndicat SMEAM, le conseil départemental était frileux à l’idée de renoncer à sa compétence de gestion du port. Avec toujours en toile de fond, la peur des frais engendrés par une rupture de la DSP, pas si faramineux selon une estimation. L’idée du Grand port maritime fait malgré tout son chemin.
Le port de Longoni est décrit par un acteur portuaire comme le poumon économique de l’île, il reste pour l’instant atrophié.
Anne Perzo-Lafond
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