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vendredi 22 novembre 2024
Accueilorange« Une honte », le cri d'alarme d'un psychiatre après son passage à Mayotte

« Une honte », le cri d’alarme d’un psychiatre après son passage à Mayotte

Le Dr Pierre Sans, médecin psychiatre envoyé à Mayotte avec la réserve sanitaire, dresse un constat alarmant de la situation de la psychiatrie au CHM. Tout en saluant le travail des professionnels du service, il s'inquiète de la possible privatisation des soins extra-hospitaliers et alerte sur le manque de lits au regard des besoins.

10 lits. Moins de 4 pour 100 000 habitants. Le service de psychiatrie du CHM est loin de ses homologues français. Le Dr Pierre Sans, psychiatre de 78 ans au franc parler indéniable, tire la sonnette d’alarme sur l’état de ce service. Après sa mission dans le cadre de la réserve sanitaire en juin dernier, le praticien a écrit à l’ARS et aux ministères concernés ainsi qu’aux parlementaires mahorais. Dans son courrier officiel, il fustige notamment le manque de lits au CHM en psychiatrie. « À titre comparatif, l’offre pour l’ensemble de la France métropolitaine et des DROM est d’environ 82 lits/100 000 hab. Pour obtenir un chiffre comparable, il faudrait multiplier l’offre actuelle par plus de 20. » 10 lits non seulement bien insuffisants, mais qui se trouvent aussi dans un service où « on peut facilement s’échapper » déplore-t-il, confirmant un constat que nous avait déjà dressé le délégué CFDT du CHM Ousseni Balahachi lors d’une visite du service.

Dans son courrier, le médecin rappelle les « multiples alertes » du personnel, dont une partie a claqué la porte du service ces derniers mois. Relatant son arrivée à Mayotte, « le constat est terrible » écrit le praticien. « Seulement 10 « lits » d’hospitalisation en psychiatrie, c’est, dès le premier abord, une honte. D’autant que cette situation est archi connue » dénonce-t-il, évoquant un quotient « 10 fois inférieur à celui de la Guyane ».

Au CHM, « j’ai vu ce que je ne croyais plus jamais voir … en France, dans les années 2000 » s’étrangle le médecin qui évoque « des psychotiques, des dépressifs graves, parfois délirants » qui après un bref passage en hospitalisation sortent avec  « une ordonnance pour 6 mois renouvelable », des traitements qu’en l’absence de suivi, les patients « ne prendront sans doute pas ». « C’est quasi criminel, ce n’est pas déontologique mais on m’a demandé de faire ça, car il n’y a pas de suivi médical. Normalement on adapte le traitement à l’état du patient » rappelle le médecin.

En cause selon lui, un « manque de personnel » mais aussi de « volonté ». « Lorsque la réserve sanitaire est arrivée il ne restait plus aucun médecin psychiatre de service public dans toute l’île. Aux dernières nouvelles, on est toujours dans la même situation, l’appel à la réserve sanitaire devenant incessant » note-t-il.

L’extra-hospitalier «  c’est un travail qui est du ressort du service public »

Service sous-doté, insuffisamment sécurisé, jusque là le constat rejoint celui déjà rapporté par les syndicats du personnel. Ce que le médecin souligne surtout, c’est le manque de suivi en dehors du CHM. « Il n’y a plus de visites à domicile, alors qu’un malade ça se suit à domicile » poursuit le praticien. Or, rappelle-t-il, « aujourd’hui le service public de psychiatrie, ce n’est plus l’asile, 10% c’est l’hospitalisation, le reste c’est ce travail qui est mené au plus près des familles et du médecin traitant ». Ce que l’on appelle le suivi extra-hospitalier.

Mlezi a lancé ce recrutement ambitieux dans un secteur en souffrance

On s’en souvient, Dominique Voynet, directrice jusqu’à il y a peu de l’ARS Mayotte, avait annoncé un plan pour la psychiatrie à Mayotte, avec justement pour but de résoudre ces problèmes.
Pour préparer ce plan, le Dr Sans a été missionné afin de  « faire un diagnostic de la situation et voir comment y remédier ». On est alors fin juin. « Je voulais aller au fond du problème, voir les associations de parents, voir les cadis, car un certain nombre de patients commencent par se soigner par fumigations ou incantations, c’est une chose que je voulais prendre en considération : à partir de quand ces patients voient un praticien traditionnel ou un un psychiatre professionnel ? ». Autant de questions qui selon lui ont « dérangé ».  « Au final je me suis aperçu que c’est une mission qui était uniquement là pour soutenir les choix de l’administration de se tourner vers le privé » dénonce ce défenseur du service public. En filigrane, ce dernier s’inquiète d’une offre de recrutement par Mlezi Maore de 3 psychiatres et une vingtaine d’autres personnels pour sa « maison de santé mentale ».

Dans le cas de Mayotte, il est certes difficile de parler, comme on l’entend parfois, de «  casse du service public » ou de « privatisation » puisqu’en l’état, ces services extra-hospitaliers sont quasi inexistants. Mais le recours au privé, s’il a le mérite de répondre aux besoins du territoire, ne laisse pas le médecin indifférent. « Imaginons un malade délirant, dépressif, repéré lors d’une consultation en ambulatoire. Si son état est grave, on lui propose ou on lui impose une mesure d’internement. Il quitte alors l’extra hospitalier pour entrer à l’hôpital. Classiquement pour un état dépressif il faut 2 à trois semaines pour améliorer la situation. Le risque suicidaire est souvent présent durant cette phase. Ensuite le malade sort et continue à être soigné par l’équipe extra-hospitalière, qui va vérifier le traitement notamment mais aussi suivre la famille, car la maladie mentale touche aussi toute la famille. Tout ça demande une formation, c’est un travail qui est du ressort du service public » estime-t-il, rappelant les besoins actuels. « Ce qui risque d’être privatisé, c’est tout ce qui va être les structures en dehors de l’hôpital lui-même, qui ont commencé à s’implanter. A raison d’un centre pour 70 000 habitants, Il faudrait 2 secteurs de consultation psychiatrique en dehors de Mamoudzou. Il serait logique de rapprocher le soin psychiatrique de la population ».

Le « point d’orgue » du parcours de ce médecin à Mayotte a eu lieu le 5 octobre dernier, à quelques jours du début de sa mission consistant à « proposer une structuration d’un pôle de santé mentale à Mayotte .» Lors d’un appel « de l’administration » où il a compris que quel que soit son diagnostic, « les décisions de transfert de l’extra-hospitalier [au privé NDLR] étaient déjà prises, c’était acté et financé. J’étais obligé ».

Censé arriver à Mayotte samedi dernier pour commencer sa mission, c’est finalement au téléphone depuis la métropole qu’il a répondu à nos questions. « La mission m’a été retirée. J’imagine que les autorités qui me l’avaient confiée espéraient, ayant une vague idée de mon CV et de mes publications antérieures, que je validerais l’une de leurs idées directrices, à savoir le retrait de l’activité extra-hospitalière du service de psychiatrie publique de Mayotte pour le confier à une structure « mieux disante », Mlezi Maore en l’occurrence. Lorsque j’ai commencé à m’étonner que l’on déshabille le service public pour habiller une structure associative privée, j’ai rapidement senti que je dérangeais. On m’a répondu que l’affaire avait été déjà conclue et financée, et que mon avis n’y changerait rien ».

Nous reviendrons naturellement sur l’offre psychiatrique de Mlezi Maore. Une de ses forces pourrait résider dans sa convention collective (dite convention 51), plus avantageuse que le service public, ce qui pourrait faciliter les recrutements.

Y.D.

 

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