Fête de la science, ou faîtes de la science ? Le jeu de mot n’est pas anodin, et traduit une prise de conscience commune, du rectorat et de la communauté scientifique, que c’est en faisant, et en faisant faire, que l’on peut faire comprendre. Sans cela, le fait scientifique reste “abstrait” constate le géographe du Département Saïd Hachim. Ainsi, malgré les nombreuses découvertes sur le nouveau volcan qui a violemment secoué Mayotte en 2018 et dans une moindre mesure les années suivantes -la crise sismique est toujours en cours-, des élèves “au lycée, ne croient plus que le volcan existe” note le géographe pour qui “les réseaux sociaux ont fait leur oeuvre” en semant le doute. “Ce n’est pas le Piton de la Fournaise ou la Khartala, le volcan de Mayotte, on ne le voit pas” explique-t-il. Ainsi l’invisible devient-il abstrait, et de fait, inexistant. Une dérive que l’on observe aussi avec la crise sanitaire, vivier de théories farfelues sur les réseaux sociaux, qui sèment le doute sur le fait scientifique.
Alors comment faire face à cette défiance ? Dans son domaine, Saïd Hachim a préparé “des outils” pour produire du concret. Dès ce vendredi, au village des sciences installé place de la République à Mamoudzou, “on va leur dire, faîtes de la science, leur permettre de manipuler la carte, voir comment on construit l’information cartographique, comment depuis longtemps on fait de la bathymétrie, jusqu’à la cartographie actuelle par LIDAR, et ils vont manipuler eux même, avec un ordinateur. On est ici, place de la République, ici le relief est composé comme ça. Dans la baie de Mamoudzou, on ne le voit pas mais il est comme ça. Plus loin, le volcan est comme ça, on proposera de voir ça en manipulant de façon très concrète pour pouvoir observer les choses, avec des maquettes cartographiques sur ordinateur. On va pouvoir réconcilier le Mahorais avec ce volcan-là” espère-t-il.
D’autant que, pour le volcan comme pour le virus, la défiance envers la science est “inquiétante”. En niant la réalité scientifique, on en vient à nier le danger, et à s’y exposer. “Du coup on va jusqu’à ignorer les menaces, on a pu constater que les gens se disent qu’il n’y a pas de danger” note Saïd Hachim qui pointe un besoin de transparence. “Il faut dire que ce volcan est là, qu’il est merveilleux et exceptionnel mais que c’est aussi une menace. C’est important que la population locale sache qu’il y a un danger”. Au point que la défiance est devenue “une donnée à part entière, qui entre en compte dans les politiques publiques”. Une vaste campagne doit commencer en novembre sur la sécurité civile justement, avec le public au cœur de discours scientifique, pour que l’information ne soit plus descendante (voire condescendante) mais participative. “C’est pour ça qu’on ne va pas parler, on va montrer”, poursuit le géographe. “C’est cette approche qui va réconcilier les Mahorais et la science. Nous faisons tous partie du sujet, on va observer tous ensemble, écouter. Se mettre au même niveau, c’est dire « ton apport est nécessaire à ma compréhension totale du sujet ».”
“Pas de fatalité”
Impossible en effet de faire comprendre un fait scientifique sans prendre en compte le bagage culturel et éducatif de son interlocuteur. Les scientifiques l’ont bien compris ces dernières années, après avoir découvert le nouveau volcan, il leur a fallu apprendre à communiquer dessus, et une thèse sur la prise en compte de la culture dans la communication scientifique a même été rédigée dans ce sillage.
Et c’est là que ça devient passionnant. Car non seulement cette fête de la science va ramener le fait scientifique et empirique au cœur des discussions, mais il va aussi valoriser et intégrer la culture, la défiance, la croyance mais aussi bien sur la curiosité saine de la population, pour que cette dernière soit autant une source d’enrichissement pour les scientifiques, que leurs recherches le sont pour nous tous.
Une logique qui va même au delà de la fête de la science, puisque le rectorat a investi pour faire participer ses élèves à la recherche scientifique. “Le rectorat va acquérir des sismographes citoyens, des petites machines qui ne coûtent que 1000€, ces appareils les élèves vont pouvoir les manipuler et réaliser en temps réel qu’il y a une activité sismique, les enseignants vont pouvoir en faire des activités pédagogiques, c’est du concret, on est dans la co construction du risque”, salue Saïd Hachim. “D’où le faîtes de la science, épelé F.A.I.T.E.S, ensemble. Cette défiance c’est inquiétant mais ce n’est pas une fatalité” conclut-il.
A noter bien que le village des sciences ne va pas traiter que de géologie, les écosystèmes mahorais, la santé et Mayotte en général seront des thèmes déclinés sous le prisme de la recherche scientifique. Une belle expérience en perspective.
Y.D.
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