Titrée sans ambiguïté « Une délinquance hors norme », c’est une enquête très sensible menée en 2020, que vient de livrer l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economique (INSEE). Elle étaye de façon chiffrée le rapport du Sénat sur l’insécurité qui dénonçait une sous-estimation de la délinquance à Mayotte, notamment faute de plainte. On sait grâce à cette enquête de victimation*, que les habitants de Mayotte font six fois plus l’objet de cambriolages que ceux de l’Hexagone (18% contre 5%), et quatre fois plus de vols sur personnes avec violences (11% contre 4%). Mais seulement 27% déposent plainte pour cambriolages, contre 49% en métropole, et 6% pour les agressions sur personnes, contre 38% en métropole. Et même ces 38% sont maigres.
L’intérêt de cette enquête menée auprès de 1.112 ménages, c’est d’enregistrer les témoignages de victimes, qu’elles aient ou non déposé plainte. Les faits de délinquance y sont donc bien plus nombreux que les données administratives issues des statistiques de la police et de la gendarmerie. Ainsi l’enquête montre ce que chacun pressentait sur place : le niveau de délinquance et le degré de violence, sont beaucoup plus élevés à Mayotte qu’en France métropolitaine et que dans tous les autres DOM.
Pour autant, la difficulté dans une enquête, c’est le profil des personnes enquêtées. Les résultats seront notamment différents selon que l’on s’adresse plutôt à une population locale en situation régulière ou non, par exemple sur les raisons qui poussent à ne pas s’éloigner de son logement, elles sont à 77% liées à la délinquance et à 22% à la lutte contre l’immigration clandestine. Statistique qui donne quasiment à elle seule le format de l’échantillon choisi.
Il est compliqué également d’interpréter que parmi les 6% de personnes majeures qui se disent victimes de violence conjugale, « seulement » les deux-tiers soient des femmes, donc un tiers d’homme, ce qui interroge sur le choix du membre de la famille qui a été choisi pour répondre à la question des violences dites « sensibles », c’est à dire intrafamiliales. « Il faudrait en effet voir s’il y a surreprésentation des hommes ou de femmes sur cette question de l’enquête », convient Bertrand Aumand, Chef du Service régional de l’Insee à Mayotte.
Maisons en dur comme cases en tôle sont visitées
Le « sentiment d’insécurité », n’est plus celui évoqué par un préfet en 2011 sous-entendant qu’il était déconnecté de la réalité. En moins de dix ans (l’enquête se base sur la délinquance des années 2018 et 2019), la situation s’est considérablement détériorée. Le graphique qui répertorie les types de délinquance en les comparant avec les métropole est à ce sens éloquent : les bâtons jaunes (Mayotte) ont tous une longueur d’avance sur les bleus (Hexagone), pour ne citer que les dégradations de voitures,17%, contre 7% pour les véhicules métropolitains. Le résultat des caillassages.
Qui sont les victimes ? Contrairement à ce qu’on pourrait penser, résidences cossues comme habitats précaires sont visées. « 20% des ménages qui résident dans un habitat en dur ont été victimes de cambriolage ou de tentatives, en 2018 ou 2019 (…) et 13% de ceux qui vivent dans des logements en tôle ». Les protections en barreaux, alarmes et gardiennage des premiers, sont susceptibles de décourager les intrusions, ce qui n’est pas le cas de l’habitat précaire. Ces derniers ne portent souvent pas plainte.
Il s’agit à 22% d’habitations sises autour de Mamoudzou, et à 18%, de villages aux conditions de vie un peu plus favorable de la côte ouest.
Les téléphones portables sont la valeur refuge des voleurs, 31% des biens dérobés, soit trois fois plus qu’en métropole, certainement parce que facilement monnayables, suit logiquement l’argent liquide, 27%, puis le matériel informatique, 24%, les vêtement, 21%. Peu de bijoux sont dérobés (14%), là encore, probablement en raison de la difficulté de les écouler, contrairement à la métropole où ils sont prisés des cambrioleurs 28%. Plus de la moitié des vols représentent moins de 1.000 euros en valeur. Et 6 fois sur 10, le cambriolage se fait en présence de la victime, contre 3 sur 10 en métropole.
Très peu de logements assurés
Près de trois ménages sur dix possèdent un autre bien que leur logement à Mayotte, principalement un terrain sur lesquels ils cultivent des fruits et légumes ou peuvent élever des animaux. Au cours de 2018 ou 2019, trois sur dix ont été victimes d’un vol de végétaux et/ou d’animaux. La valeur estimée du vol est presque toujours inférieure à 500 euros.
Lorsque le cambriolage est suivi d’un vol effectif, 31 % des ménages de Mayotte ont déposé plainte contre 71 % dans l’Hexagone.
L’absence de dépôt de plainte s’explique tout d’abord par le défaut d’assurance du logement : seulement 13 % des ménages victimes déclarent être assurés au moment du cambriolage, contre 87 % dans l’Hexagone. « Par ailleurs, parmi les ménages qui ne se sont pas déplacés auprès des forces de sécurité, cinq sur dix déclarent qu’ils n’en ont pas vu l’utilité et ou que cela n’aurait servi à rien (trois sur dix dans l’Hexagone), deux sur dix que ce n’était pas assez grave (quatre sur dix dans l’Hexagone). » Le rapport sénatorial sur la Sécurité à Mayotte donnait la parole au procureur Yann Le Bris, qui évoquait aussi l’absence de culture du justiciable chez certains, et l’irrégularité des situations administratives chez d’autres qui ne les incitent pas à déposer plainte. Etaient aussi évoqués les conflits réglés sans avoir recours à la justice.
La peur des représailles est aussi évoquée par 2 victimes sur 10 dans l’enquête de l’INSEE.
Les vols avec violences ou menaces sont les plus répandus, contrairement à ce qui est observé au niveau national : 7 % des personnes de 14 ans ou plus en ont été victimes en 2018 ou 2019, soit dix fois plus qu’en France métropolitaine. Huit fois sur dix, ces vols avec violences sont commis par plusieurs personnes, on pense au phénomène de bandes. « Dans presque tous les cas, l’auteur ou les auteurs étaient exclusivement des hommes. D’après les victimes, 66 % des agressions impliqueraient un ou plusieurs mineurs (41 % dans l’Hexagone) ».
La moitié des victimes connaissent leur agresseur
Fait important, « la moitié des victimes déclarent connaître l’auteur ou au moins l’un d’entre eux, personnellement ou de vue. » Remis en perspective avec la peur de représailles, ceci explique largement la peur de déposer plainte. Un point sur lequel il sera intéressant de travailler si on veut que la maxime « la peur doit changer de camp », fonctionne.
En conclusion de ce sombre constat, un graphique à double entrée qui recense les catégories les plus vulnérables, qui n’osent pas sortir seuls. Sur ce point, nous le répétons régulièrement, céder à la peur en restant chez soi ne fait que conforter les délinquants. La population doit occuper massivement les espaces publics, sous peine de se priver elle-même de liberté.
Les autorités disposent en tout cas maintenant de statistiques permettant de réorienter les politiques publiques en terme de sécurité. L’enquête « Cadre de vie et sécurité » est annuelle en métropole, pas en Outre-mer. Financée par la Délégation générale aux Outre-mer (DGOM), celle-ci octroie à ces territoires un budget donné pour mener leurs investigations statistiques. A Mayotte où tout s’oublie si vite, ici comme à Paris, il est vital de la réitérer régulièrement.
Consulter l’Enquête Cadre de vie et sécurité 2020
Anne Perzo-Lafond
* Le fait de subir une atteinte matérielle, corporelle ou psychique
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