Retour à la case départ ? Devant le lycée de Kahani, fermé administrativement ce lundi, une trentaine de mamans d’élèves sont réunies pour un voulé de protestation. Toutes ont en souvenir le mouvement social de 2018, qui était parti du même endroit, ce hub devenu parking, et où se retrouvent encore les violences entre bandes venant de tout Mayotte. Sur les causes, chacun y va de son diagnostic, mais les rivalités, qu’elles viennent de Majicavo, de Combani-Miréréni, ou de Vahibé, trouvent en ce lieu une sorte de ring permanent. Trois ans et demi après la grève de 2018, les habitants disent à nouveau “Bassi Ivo”, “ça suffit”.
Et qu’importe ce qui conduit ces jeunes à se mettre sur la figure, entraînant toute la population dans leur sillage, un constat est partagé, “il leur manque un cadre, car ce sont des enfants” estime cet enseignant qui se fait appeler Jean, opposé au droit de retrait. “On est professeurs, notre rôle est de les accueillir, pas de les laisser dehors où ils peuvent faire des bêtises” poursuit-il en substance. Une position qui tranche avec celle de la CGT, favorable elle au droit de retrait.
Des violences jusque dans les toilettes du lycée
Du côté des parents, ce manque d’encadrement fait aussi consensus. Pour Zalifa Assani, co-présidente ce la FCPE, les violences viennent à la fois de l’extérieur, avec les rixes intervillages, mais aussi de l’intérieur du lycée. “Surpopulation, racket, harcèlement scolaire, on n’en parle jamais” déplore-t-elle, voyant dans ces dérives le point de départ de nombreux actes de représailles. “C’est comme ça que des victimes deviennent agresseurs”. Jean, l’enseignant, confirme ces dires. “On a beaucoup de problèmes dans les toilettes, agressions, racket, vols, viols, tout ce qui peut se passer. Est ce qu’on y met des surveillants ? Non. Ou personne de clairement identifié comme tel. Les toilettes sont un endroit dangereux, il faudrait quelqu’un devant les toilettes en permanence” plaide ce professionnel.
Devant le lycée, la maman d’un élève de première enfonce le clou. “Mon fils, quand il se lève le matin, il va 3 fois aux toilettes et quand il a des heures libres il court pour rentrer à la maison. Il dit qu’à la maison, il est en sécurité, mais qu’au lycée, il a peur d’aller aux toilettes”. D’autres “ne dorment pas la nuit” ajoute Zalifa Assani pour qui les élèves n’ont “aucun endroit pour parler de ces violences, il leur faudrait un espacé dédié”.
Pour Jean “la montée de violence a profité d’un cadre qui n’était pas rigide”. Il dénonce “une administration trop souple et des profs laxistes”. “Ce qu’on peut faire en tant qu’enseignants, c’est poser un cadre républicain, être plus rigoureux et plus fermes sur ce qu’on attend d’un futur citoyen de la république française”.
Mais en dehors de l’école, ce cadre manque aussi, constatent les parents eux-mêmes qui demandent à faire le lien entre les deux.
“Il faut du soutien à la parentalité”
“La première instance de socialisation c’est la famille” rappelle Zalifa Assani, mais pas que. “Il y a aussi l’école coranique, les activités sportives et de loisirs. Avant même qu’on arrive à l’école il doit y avoir tout ça dans les quartiers. Les jeunes de Kahani sont les meilleurs danseurs de hiphop de France, et ils s’entraînent au bord de la route. Pourquoi ne pas faire du lycée un lieu ouvert ? Pourquoi ne pas créer une salle des parents ? Pourquoi ne pas en faire un lieu pour les jeunes danseurs ? Pourquoi ne pas mettre à disposition des jeunes de Kahani le plateau sportif ? Tout ça existe ailleurs, et ça peut être une solution. Là où ça existe, c’est un soulagement”.
C’est un des axes retenus dimanche par les parents réunis. “Les parents se sont réunis ce dimanche, on a décidé que les mamans allaient prendre les choses en main. Certaines disent qu’elles ont un enfant qu’elles n’arrivent pas à gérer à la maison, on manque d’un lieu d’échange, on a besoin de ça en urgence pour libérer ces parents, qu’ils puissent parler, sachent où s’orienter, et soutenir les enfants”. Des enfants qui, assure la représentante des parents d’élèves “ne comprennent pas la perte de l’autorité de la part des parents et de l’institution” et en particulier que “les parents dans les villages sachent qui sont les fauteurs de trouble et ne les dénoncent pas”.
Pour parvenir à restaurer cette autorité, il faut des professionnels en appui, soutient cette maman, soucieuse de ce que “les parents réapprennent à parler aux enfants. Car on a l’habitude de crier sur les enfants, de punir les enfants… Or à un moment donné, on punit, on punit, et les enfants ne ressentent plus rien. C’est la situation actuelle. Les parents ont besoin de professionnels pour les soutenir pour aller à la rencontre de leurs enfants ou des enfants de leurs voisins. Il faut du soutien à la parentalité, pour savoir comment communiquer et les encadrer, beaucoup sont dans l’extrême pauvreté et pensent plus à nourrir leur famille qu’autre chose. Quoi qu’il arrive la population de Kahani ne baissera pas les bras, on est fatigués, ça a trop duré”.
Autant de sujets que les parents avaient à cœur de soumettre au recteur, qui les recevait ce lundi dans l’après-midi.
YD
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