Lors de son passage sur l’île la semaine dernière, nous avons interpellé la ministre Frédérique Vidal sur l’absence à Mayotte des grands instituts de recherche comme IFREMER*, le CNRS*, l’INRA*, etc. Ils sont indirectement présents, s’est défendue la ministre de la Recherche : « Il ne faut pas confondre institutions et chercheurs qui sont, eux, présents et qui relèvent des grandes structures que vous avez nommées. »
A son programme, la signature ce vendredi d’une convention entre le Centre Universitaire de Dembéni et l’IRD, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Moins connu, il n’en offre pas moins une approche intéressante car multidisciplinaire. Nous avons interrogé sa PDG, Valérie Verdier, qui évoque la place de son institut : « L’IRD n’est pas implanté à Mayotte, mais plusieurs équipes y développent des projets et des collaborations, notamment depuis 2007 autour des suivis sur les récifs coralliens. Les partenariats se développent notamment en s’appuyant sur la présence et les moyens de l’IRD à La Réunion, dont la représentation a compétence pour les activités à Mayotte. »
Le lagon et les coraux ne sont pas les seuls à focaliser l’attention de l’IRD. La valorisation de substances naturelles bioactives de la pharmacopée et la cosmétopée mahoraises est portée par Pharmadev, dans le cadre du projet de Pôle d’Innovation Intégré de Mayotte (PI2M) hébergé par le Pôle Excellence rural (PER) de Coconi : « Les végétaux constituent une source abondante de molécules actives, qui sont aujourd’hui très recherchées à travers le monde, dans les domaines cosmétique, pharmaceutique et nutraceutique (bénéfique pour l’organisme, ndlr). La biodiversité mahoraise, encore très peu explorée à ce jour, présente un réel potentiel. » Les algues marines sont également regardées de prés, « cet ensemble de projets doit permettre de valoriser les richesses naturelles mahoraises, de développer de nouvelles industries, d’entreprendre des actions de reconstruction des écosystèmes, de générer et d’importer des savoirs et savoir-faire et d’impliquer au maximum la population permettant de la formation, professionnalisation, emploi et éducation. » Il est financé par le Plan d’Innovation Outre-Mer (PIOM).
Une recherche sur les ressorts de l’habitat illégal
Il y a un mois, l’IRD était sur le sujet volcan, pour avoir envoyé une mission sur le Marion Dufresne, « pour mieux comprendre l’écoulement des laves à partir d’échantillons récupérés des profondeurs et ainsi anticiper les risques ».
La Santé est également un secteur sur lequel se penche l’IRD, « notamment les épidémies de dengue transmises par le moustique tigre, qui a incité La Réunion à lancer la technique de ‘l’insecte stérile’, pour endiguer leur prolifération, et à la dupliquer ici », actuellement en gestation à l’ARS Mayotte, « il n’y a pas encore eu de lâcher d’insecte ». Le financement est européen.
La dimension sociétale est aussi l’objet de recherches approfondies, notamment sur les ressors en matière d’extension de l’habitat illégal, explique Valérie Verdier : « A travers notre projet ‘Comprendre les dynamiques d’urbanisation irrégulière afin de mieux organiser la ville durable mahoraise de demain : analyse des pratiques d’accès au logement et au foncier dans des territoires objets d’opérations d’aménagement à venir’, nous voulons comprendre les mécanismes d’accès au foncier et au logement, les réseaux de solidarité et d’entraide, pour pouvoir comprendre comment se poursuivent ces dynamiques urbaines sur un département sous tension en matière de logements du fait de la croissance démographique. » Dans le cadre de cette étude financée par l’Etablissement public foncier (EPFAM), les acteurs à l’origine de la production de l’habitat, précaire ou non, sont aussi interrogés.
La signature du 1er accord cadre de coopération scientifique et technique avec le CUFR ce 19 novembre, sous le regard de la ministre de la Recherche, va permettre à l’IRD de « renforcer sa présence », et de proposer son profil pluridisciplinaire : « Il y a à Mayotte, plusieurs défis sociétaux. La biodiversité, le littoral et la mer, en prenant en compte le concept ‘One health-une seule santé’ qui reconnait que la santé humaine est étroitement dépendante de la santé des animaux et de l’environnement, les aléas et risques environnementaux en sont une manifestation. Nous raisonnons en science de la durabilité, c’est la science des solutions. On veut répondre aux problèmes en construisant des projets multiacteurs, c’est ce qu’on fait avec le CUFR. »
« Nous co-compétitons ensemble ! »
Cet accord avec le CUFR tombe dans un contexte de « grande compétition internationale sur les sujets de recherche. Nous co-compétitons ensemble ! »
Cette signature entérine pour une durée de 4 ans un cadre de coopération pour des activités de recherche, de formation, d’expertise et d’information scientifique menées en partenariat. Le domaine de coopération central identifié par l’accord concerne les milieux littoraux et marins mahorais, « ce sont des espaces fragilisés et à forts enjeux démographique, économique, culturel et environnemental, dont la protection, la préservation et la valorisation constituent aujourd’hui une priorité ».
Plus largement, les travaux pourront aussi porter sur la valorisation de la biodiversité, la restauration des milieux naturels, la caractérisation des aléas naturels et risques associés, l’évolution des sociétés et leur résilience face aux pressions naturelles et anthropiques, l’étude des rapports entre humains et non-humains (ex. communautés locales et communautés coralliennes), etc.
Le déficit de représentativité des grands instituts de recherche a été rappelée à la ministre lors des remises de médailles de la Fête de la Science vendredi, par un représentant du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), qui repprochait un déséquilibre par rapport à La Réunion, « le CIRAD est peu représenté à Mayotte, alors que vous allez à La Réunion inaugurer un bâtiment. » De son côté, l’IRD a avancé ses pions.
Anne Perzo-Lafond
* FREMER : L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer
CNRS : Centre national de la recherche scientifique
INRA : L’Institut national de la recherche agronomique
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