Entre 2016 et 2018, l’immigration à Mayotte depuis la région des Grands Lacs a connu une forte hausse. En cause, le règlement de Dublin, qui ne permet d’obtenir l’asile que dans le pays d’entrée dans l’Union Européenne, et qui a convaincu nombre de migrants d’éviter la route via l’Espagne, mais aussi la dégradation sécuritaire dans cette région d’Afrique en proie à l’instabilité et aux exactions.
C’est dans ce contexte qu’avait été créé le GELIC, groupe d’enquête et de lutte contre l’immigration clandestine, après le mouvement social de 2018.
Quelques mois plus tard, ce groupe d’enquête voyait une occasion de démanteler une bande semblant organisée et suspectée d’orchestrer des trajets du Congo vers Mayotte. A la source de cette enquête, un “renseignement anonyme” selon lequel des Congolais venaient à Mayotte demander l’asile politique, prétendant avoir marché jusqu’au Kenya ou la Tanzanie, avant de rallier les Comores puis Mayotte en kwassa, alors qu’ils transitaient en réalité par Madagascar en avion. Selon ce même renseignement, le réseau était animé depuis la région lyonnaise, et les voyageurs payaient autour de 4000€ pour rejoindre Mayotte. Dans les faits, les passagers allaient jusqu’à Tananarive en avion, puis rejoignaient Nosy Be avec un chauffeur de bus avant de prendre une barque direction Mayotte. Là ils étaient orientés vers Solidarité Mayotte pour avoir un hébergement provisoire, et un compatriote leur proposait un travail informel pour subsister le temps de la demande d’asile.
Début 2019, un juge d’instruction était nommé, et rapidement, avec ces renseignements, des interpellations étaient effectuées, 3 à Mayotte et une à Lyon. Au total, plus de 1000 enregistrements téléphoniques étaient versés au dossier pour tenter d’établir des liens entre les quatre mis en cause, et de nombreux flux financiers, notamment par Western Union, étaient tracés.
Mais cette minutie a surtout servi les avocats de la défense, qui ont dégonflé ce qui était un temps présenté comme un gros réseau, responsable de très nombreux passages. “On dit qu’ils facturaient 4000€, jamais un tel montant n’a été atteint” constate Me Simon qui évoque “un grand n’importe quoi”. A l ‘audience, ce sont plutôt des sommes totales de 300à à 4000€ qui sont listées, et encore, réparties en plusieurs dizaines de virements, et reversées en partie à des proches. De quoi convaincre jusqu’au procureur de l’absence “d’enrichissement personnel, là on voit bien que l’intention n’était pas criminelle, mais plus de faire de l’entraide entre compatriotes”.
Délit de solidarité ou filière condamnable ?
De plus, si les écoutes téléphoniques montrent bien des liens entre les quatre prévenus, aucune ne met en exergue une hiérarchie ou une organisation permettant de qualifier la “bande organisée”. “Le maître mot de ce dossier, c’est la solidarité” estime Me Souhaïli, quand son confrère Me Andjilani qualifie la procédure de “délire”.
Et quand le substitut du procureur rappelle qu’il faut condamner la mise en danger des passagers des kwassas, Charles Simon bondit. “La sécurité sur les kwassas, d’accord, mais la sécurité au Nord-Kivu, on en parle ? La liberté d’aider autrui dans un but humanitaire est licite” plaide-t-il, réclamant à l’instar de ses confrères la relaxe des prévenus. D’autant qu’aucun kwassa n’a été intercepté, permettant de se rendre compte du nombre potentiel de passagers, ou de leurs conditions de sécurité à bord. Tout au plus les prévenus reconnaissent-ils avoir aidé leurs familles et quelques amis à les rejoindre.
Pas suffisant pour convaincre les juges d’entrer en voie de relaxe. Si la circonstance aggravante de bande organisée a été écartée, tous ont été condamnés pour aide à l’entrée d’étranger sans titre, trois des prévenus sont condamnés à 12 mois de prison avec sursis, et un à 6 mois avec sursis.
Y.D.
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