La Délégation sénatoriale aux outre-mer a multiplié les auditions le mois dernier, dont celle de la ministre de la Mer Annick Girardin, avant de conclure sur un paradoxe : la France se targue d’être le 2ème espace maritime mondial, notamment grâce à ses outre-mer, mais elle les laisse en marge des décisions maritimes. A travers le terme « ambition maritime », les sénateurs ne voient pas seulement la « puissance maritime française », mais aussi les enjeux commerciaux ou d’éducation. Leur réflexion se traduisent en 40 préconisations, et on peut faire confiance au sénateur du Tarn Philippe Folliot, membre de la Délégation, et auteur de « 2058 France-sur-mer, un empire oublié », pour garder un œil rivé sur leur mise en place. Il était d’ailleurs venu à Mayotte.
Les sénateurs dressent un bilan critique des actions menées depuis 5 ans, alors qu’ils relèvent que « les enjeux dans ce domaine n’ont jamais été aussi cruciaux. » Et appellent donc à « replacer vraiment les outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale. »
Constat est fait d’un « décalage » entre les menaces croissantes dans les espaces ultramarins, « pêche illégale de plus en plus violente, narcotrafics, réarmement naval dans l’Indopacifique, développement du cyberwarfare (guerre numérique) à proximité des câbles sous-marins par lesquels transitent 95 % des données mondiales », et le rythme de renouvellement des moyens, aboutissant à un « sous-dimensionnement des forces de souveraineté », « le nombre de patrouilleurs destinés à la surveillance de la ZEE française est équivalent à deux voitures de police pour surveiller le territoire hexagonal ». Conclusion : « les outre-mer doivent être la priorité de la future loi de programmation militaire ».
La stratégie de l’Indopacifique centralisée à Paris
Nous avions évoqué en 2020, l’ambition de la France dans la zone Indopacifique, dont Mayotte pourrait tirer quelques billes, et au-delà du projet gazier au Mozambique, et rapporté les ambitions grandissantes de la Chine dans la zone qui provoquait quelques crispations du côté français qui cherche à y renforcer sa présence. Mais de manière trop « Etato-centrée », selon les sénateurs : « Pourtant, les territoires français de l’océan Indien et du Pacifique (Mayotte, La Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, La Passion-Clipperton) peuvent en devenir des ambassadeurs, via leur présence dans les organisations de coopération régionale ». Peut-être une chance pour Mayotte d’être reconnue comme représentante de la France à la Commission de l’Océan Indien au même titre que La Réunion ?…
Les rapporteurs formulent 40 propositions dans la perspective de la prochaine stratégie maritime 2023-2029, « afin de préparer l’avenir océanique de la France et relever les défis d’un XXIe siècle assurément maritime. » (Consulter la Liste des recommandations)
Patrouilleurs, drones et hydroglisseurs pour les DROM
L’une d’entre elles, est déjà actée, « la livraison d’un patrouilleur supplémentaire pour chacune des forces outre-mer lors de la prochaine loi de programmation militaire », qui prend chez nous les noms d’Auguste Techer et de Félix Eboué, ceux des deux patrouilleurs bientôt livrés à La Réunion, sur les 6 prévus. L’un d’eux sera-t-il basé en permanence à Mayotte ?
Les sénateurs préconisent de coupler cette livraison navale avec celle de drones de surface « pour sillonner la ZEE », la Zone Economique Exclusive, et de celles d’hydroglisseurs, de type japonais. Et de doter chaque collectivité d’outre-mer, d’une commission maritime compétente en matière de gestion de l’espace du secteur mer et du littoral, de l’aménagement du territoire et de la formation.
Pour ne pas limiter la stratégie indopacifique de notre région à la dimension militaire, les collectivités doivent être incitées à y développer des initiatives économiques et environnementales.
Mayotte y est explicitement mentionnée, avec « l’évolution du Port de Longoni en Grand Port maritime », et le renforcement de la coopération interportuaire avec La Réunion. On y trouve aussi le nécessaire renouvellement du câble SAFE.
Sensibiliser les plus jeunes pour qu’ils acquièrent une « conscience bleue », est une tâche confiée à l’Education nationale qui devra aussi promouvoir le Brevet d’Initiation à la Mer (BIMer) dans les collèges et lycées, développer des classes « enjeux maritimes »par des partenariats avec des fondations ou des personnalités du monde maritime, orienter enfin les jeunes vers les métiers de la mer.
A Mayotte, l’économie a du mal à se teinter de bleu, malgré les discours et forum qui lui sont dédiés. Les sénateurs sauront-ils apporter la bonne touche ?
Anne Perzo-Lafond
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