Discrimination et stéréotype, sont les maitres mots de la cérémonie présidée par le préfet en cette Journée internationale des droits des femmes. On pourrait rajouter également, “paradoxe”. Car comme tous les 8 mars, Mayotte observe avec respect le combat de ses femmes, en particulier les Chatouilleuses, mais aussi lors des manifestations pour la défense des droits de la population, et comme tous les 8 mars, elle compte sur les doigts d’une main ses représentantes politiques. Vite fait cette année, car si jusqu’en 2020, deux communes avaient placé à leur tête une femme, Chirongui et Sada, les « mairesses » ont disparu du paysage politique depuis. Seules les conseillères départementales, dont la présence doit tout à la loi sur la parité dans cette assemblée, trônent à équité avec leurs pairs masculins, et une députée siège parmi les 4 parlementaires.
« La femme mahoraise gagne néanmoins en visibilité, veut croire la 4ème vice-présidente du Département, Zouhourya Mouayad Ben, qui, dans un discours volontariste, invitait les filles à « faire taire les préjugés et les stéréotypes en s’investissant dans les métiers masculins, ceux du sport, etc. » et citait un écrivain russe, Léon Tolstoï, pour conclure, « Femmes, c’est vous qui tenez entre vos mains le salut du monde ».
Elle avait auparavant glissé que la loi venait encore une fois au secours de la discrimination, le décret du 25 février 2022 visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’entreprise. Même observation dans l’éducation nationale, expliquait Sébastien Bernard, DRH au rectorat de Mayotte, qui évoquait une discrimination dans les notations des inspecteurs du second degré en France, et où la encore, le rééquilibrage ne se fait pas naturellement, « heureusement, des mécanismes de correction existent ». Il invitait donc les femmes à « briser le plafond de verre ».
La compétence ne se donne pas un genre
Car les injustices s’accumulent, dont l’inventaire était dressé par le préfet Thierry Suquet, qui avait auparavant évoqué avec fierté son épouse consultante internationale : « A Mayotte, on observe l’effet de la généralisation tardive de la scolarisation, le faible niveau d’emploi des femmes mahoraises, le nombre élevé de grossesses précoces, et d’IVG chez les mineures, le surpoids et le diabète qui touchent beaucoup de femmes, les nombreuses victimes de violences qui n’osent pas déposer plainte, et qui subissent les arrangements persistants entre familles, la moindre présence des femmes dans la vie politique, plus poussée que dans d’autres régions de France. »
Le bon exemple est justement donné par la préfecture où le nombre des sous-préfets/préfètes est équitables, 3 hommes et 3 femmes, « la prochaine étape, c’est une préfète en poste à Mayotte ?! », glissait Thierry Suquet.
Si la moitié des créateurs d’entreprises sont des femmes, on sait que ce sont souvent des petits commerces, « elles sont moins présentes dans l’enseignement supérieur ou la politique ». Rappelons que sur les 12 candidats à l’élection présidentielle, 4 sont des femmes.
Les esprits chagrins répondront que les femmes élues ne sont pas toujours à la hauteur de la tâche notamment au conseil départemental de Mayotte. Ils n’ont pas tort, mais leurs pairs masculins font souvent pire, se démenant pour des actions… qui les font parfois passer devant la barre du tribunal. Prise illégale d’intérêt ou enrichissement personnel… des travers plus rares chez les élues. Et femme ou homme, c’est de toute façon la compétence qui doit primer, et non le genre.
A chacune sa voix de Jasmin
Pour fêter dignement cette Journée internationale de la femme, elles ont été mises en bulle par la maison d’édition du Signe, désormais prolifique à Mayotte, qui a déjà publié l’histoire du département, ou celle des jeunes de la PJJ. La collection s’est enrichie de « La voix des Jasmins – Chemins de femmes », écrite par Charifati Soumaila, auteure par ailleurs de la pièce « Vérités foudroyantes », et professeur de Lettres au collège de Chiconi. « Il s’agit aussi de faire découvrir les services œuvrant pour le droit des femmes », soulignait Taslima Soulaimana, Directrice Régionale aux Droits des femmes et à l’égalité homme-femme, à la préfecture de Mayotte, qui a managé le projet.
De quoi réveiller les consciences, rapportait-elle : « Quand je passe dans les établissements scolaires de Mayotte, j’entends que l’égalité homme-femme, ‘c’est un concept occidental, ça ne nous concerne pas’ ! ». La société a ses codes à Mayotte, qu’il ne faut pas entièrement chambouler, mais œuvrer pour que les femmes aient accès à l’éducation afin d’avoir le libre choix de leur vie, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse leur faire.
Une scénette extrait de l’ouvrage était jouée par les CM2 de l’école primaire de Kavani Stade. De vrais talents en herbe, une texte su au millimètre par ces jeunes, managés par leur professeur Moudjibou, qui jouent les 5 petits enfants d’une coco (grand-mère), propriétaire de douka, à qui ils conseillent de s’inscrire à l’école des parents pour apprendre la langue française, après qu’elle ait acheté par erreur plusieurs kilos de sel, ne sachant pas lire que ce n’était pas du sucre. Son mari passera par la case chatouille avant d’accepter, et… les jeunes seront finalement les premiers à le regretter après que leur ancêtre ait déchiffré avec colère leur bulletin scolaire qu’ils faisaient signer sans ciller ! Fous rires dans l’auditorium du lycée des Lumières.
Ce 8 mars salue aussi la publication du roman « La Chatouilleuse » de Yasmina Aouny, en hommage à Zéna Mdéré.
Loin d’avoir été défendues par une loi, ces Chatouilleuses avaient inventé leur propre technique pour agir et se faire reconnaître. C’est aussi ça qu’on attend des femmes.
Anne Perzo-Lafond
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