La réforme du recensement introduite par la loi EROM, Egalité Réelle Outre-Mer, du 28 février 2017, a fait sortir Mayotte des exceptions législatives : le recensement qui était effectué tous les 5 ans, se fait comme dans les autres DOM par tranche tous les ans, en sélectionnant chaque année un cinquième des communes. Mais pour les diffuser, il va falloir attendre que toutes aient été recensées, donc 2026. En attendant, nous sommes entrés dans un « effet tunnel » de 8 ans sans production entre le dernier recensement de 2017 et celui produit en 2026, rappelle Bertrand Aumand, directeur territorial de l’INSEE.
Le recensement de 2017 avait été exploité, tordu dans tous les sens, pour en extraire le moindre renseignement. L’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques s’emploie désormais à dresser des évolutions des données sur la durée, et la dernière production en date est à ce sens intéressante, élaborée avec les services de la DEETS (Directions de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités, ex-Dieccte).
Elle porte sur les emplois de cadre à Mayotte, leur évolution entre les recensements exhaustifs de 1997 et 2017, en zoomant sur leur degré d’occupation par des natifs de l’île.
Avant toute comparaison, nous avons recherché l’évolution du nombre d’habitants entre ces deux dates. De 131.300 en 1997, ils sont passés à 256.500 en 2017, soit une hausse de quasiment 100%, exactement 95%.
Si la croissance démographique est spectaculaire, celle du nombre de cadres aussi. De 1.200 cadres (professeurs, cadre A de la fonction publique, chefs d’entreprises ou de services, professions libérales…) en 1997, leur nombre est passé à 4.200 en 2017, soit une progression de 40%. Ils représentent environ 12% des personnes en emploi sur l’île, un taux comparable aux autres DROM, indique le statisticien.
44% des diplômés du supérieur sont natifs de Mayotte
Il y a donc eu 4 fois plus de cadres en 20 ans, et ceci pour deux raisons selon l’INSEE, « la tertiarisation de l’économie, avec un secteur agricole qui n’est plus qu’à 2% de l’activité totale, et la départementalisation qui a induit un renforcement de la fonction publique, surtout dans l’enseignement ».
Les natifs de Mayotte, qui occupaient 15% des postes de cadre en 2022, sont 35% en 2017. Année où ils représentent 44% du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur à Mayotte. On observe donc que tous les diplômés supérieurs ne sont pas en emploi.
Cette évolution touche notamment les femmes nées à Mayotte, leur niveau de formation augmente de façon spectaculaire, elles sont quasiment à parité avec les hommes en nombre de diplômées du supérieur, 49%, par contre elles sont moins à occuper des postes de cadres ensuite, 41%. « On peut penser que le rattrapage va se poursuivre ».
L’élévation du niveau de formation est en route. En effet, si les natifs de l’île représentent 35% des cadres, et 45% des diplômés du supérieur, l’évolution s’est surtout faite récemment, entre 2012 et 2017, mais aussi, nous partons de très bas, « un élève de 6ème à 62% de chance d’obtenir son Bac, contre 80% en métropole ». Et on peut penser que c’était bien pire en 1997. Le Centre universitaire est récent, il date de 2011, ce qui explique que seulement 18% des néobacheliers poursuivent leurs études à Mayotte. Des formations qui montent en puissance au CUFR notamment au niveau de l’Education et de la santé.
Pas de fuite des cerveaux
Justement, les enseignants occupent une grosse proportion du quota de cadres, 40%, soit 1.900 enseignants certifiés ou agrégés de l’enseignement secondaire ou supérieur, en 2017, dont 500 natifs de l’île. Or, depuis 4 ans, la situation a considérablement évolué, avec un accroissement des recrutements, notamment impulsés par le développement des filières au CUFR.
Dans les autres fonctions publiques, les natifs de l’île sont inégalement représentés : 69% de l’effectif de cadre dans la territoriale, mais seulement 4% dans les professions libérales, et sur 1.100 cadres dans le secteur privé, 400 sont natifs de l’île. Ils sont 250 dans la fonction publique d’Etat.
Autre fait notable livré par cette étude, Mayotte garde ses cadres. « Nous sommes même médaille d’or dans ce domaine, devant l’Ile-de-France », lâche Bertrand Aumand. 80% des cadres nés sur l’île y restent pour travailler, « nous sommes une des régions les moins concernées par la fuite des cerveaux ». Faut-il parler au passé ? Est-ce que la délinquance a changé la donne en 2022 ? Il va falloir attendre 2026 pour le savoir… En tout cas, 400 natifs de l’île occupaient un poste de cadre ailleurs en France en 2017. Le dispositif cadre avenir, qui vise à accompagner la formation de diplômés du supérieur vers une spécialisation de cadre, contre une durée d’exercice sur l’île a été mis en place en 2018, nous verrons donc ultérieurement s’il a été bénéfique en terme de fidélisation des cerveaux.
Les NEET pourraient freiner la tendance
A noter que 15% des cadres sont des français nés à l’étranger, et 6% sont étrangers. On peut penser à la présence de quelques praticiens hospitaliers parmi eux.
Si l’éducation nationale, somme toute récente à Mayotte, va tirer la tendance vers le haut, il faut englober l’ensemble de la société, met en garde Jean-Louis Mattera, directeur de la DEETS Mayotte : « Le pacte républicain ne fonctionnera que si l’ensemble fonctionne normalement. Or, il y a encore beaucoup de jeunes NEET », acronyme anglais, pour désigner ceux qui sont ni en emploi, ni en étude, ni en formation. Il se promet « d’aller les chercher », notamment « grâce au récent Contrat d’engagement jeunes. »
Ce sont donc deux tendances contraires qui voient le jour sur le territoire, celle des jeunes qui n’ont pas de visibilité d’avenir, car sans papier au bout de leurs études, et celle des toujours plus nombreux diplômés de l’enseignement supérieur, dont une partie veut s’engager pour le développement de leur île. C’est sur les deux qu’il va falloir travailler pour avoir pourquoi pas, un préfet issu d’un territoire pacifié sur les stat 2026 !
Anne Perzo-Lafond
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